Biographie de P. Albert Bourgeois, scj
30 janvier 1921 - 21 novembre 1992
“Je me remets à toi, mon Seigneur et Maître, pour tout ce que tu veux me demander ou m’imposer, épreuves intérieures et extérieures, pour tout ce qui concerne mon avenir et mon apostolat, mes devoirs, mes responsabilités, mon ministère ou les charges que j’accepterai humblement sans alléguer inutilement mon incapacité, à moins qu’elle ne soit évidente” [1].
Une enfance de privation
Le père Albert Bourgeois est né le 30 janvier 1921 à Jandelaincourt, près de Nancy, en France. Il avait sept ans lorsque son père est mort de la tuberculose ; et seulement trois ans après, il perdait aussi sa mère. C’est un enfant qui a connu très tôt les souffrances et les difficultés d’une pauvre famille ouvrière.
En 1931, il est reçu à l’Institut Saint-Clément, école apostolique ou petit séminaire, que le père Dehon avait fondé en 1882 à Fayet près de Saint-Quentin, et qui fut ensuite transféré à Viry-Châtillon, dans la région parisienne. Dans cette école, à l’âge de 16 ans, il prit la décision d’entrer dans la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus.
Les années de préparation et de responsabilité
Il fait sa première profession religieuse à Amiens le 29 septembre 1938 et, après des études de philosophie et de théologie à Dijon, Uriage et Lyon, il est ordonné prêtre le 6 juillet 1947. Nous reprenons un texte de son journal personnel, une page qu’il a écrite au début de sa retraite pour l’ordination sacerdotale (29 juin ‑6 juillet 1947) :
“La grâce d’être prêtre du Sacré-Cœur. Retraite de l’ordination sacerdotale. Entrer dans la retraite comme dans un sanctuaire où se déroulent de grandes choses. Seul, mais entouré de présences. Recueilli, mais avec le cœur ouvert au murmure du ruisseau, aux voix du silence. Timide et pourtant heureux, ouvert, conscient de ma faiblesse et fort de la force du Seigneur. Un sentiment profond : la stupeur ; une chose à laquelle il n’est pas facile de croire : moi, prêtre. Une certitude : l’importance de cette retraite ; et, d’autre part, son inutilité, si après je ne serais pas prêtre toutes les minutes, substantiellement prêtre. C’est une question de fidélité, de gaité, d’utilité, surtout d’amour. L’unique grâce à demander : être un prêtre du Sacré-Cœur, non un quelconque, non par défaut, mais jusqu’à l’oblation totale et l’immolation de tous les instants. Il y a tout : le Christ, Dieu et les âmes, l’idéal et la réalité : tout ce dont est fait l’amour de Dieu “[2].
Après avoir obtenu une licence en littérature, il s’est entièrement consacré à la mission d’éducateur et de professeur pendant dix ans. Les premières années de son activité sacerdotale ont été consacrées à la formation dehonienne, d’abord comme enseignant puis comme recteur du séminaire. A partir de 1960, il est supérieur provincial de la province française de sa congrégation dans une période de floraison remarquable pour la vie de la congrégation. Il était Supérieur du Scolasticat SCJ de Lyon quand, le 6 juin 1967, il fut élu à la charge de Supérieur général et le 8, après son acceptation, il fut officiellement déclaré Supérieur général, succédant au Père Joseph Antony De Palma mais également à la tâche de Président du Chapitre.
C’est ainsi comme président de la deuxième session de ce XVe Chapitre que le père Bourgeois commence son service comme supérieur général des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus : une responsabilité qui n’a pas manqué de lui causer quelques difficultés, surtout à cause des options, souvent divergentes, qui étaient alors proposées pour l’aggiornamento (le renouvellement) de la Congrégation. Le père Bourgeois en a souffert,
“mais avec son équilibre, son esprit de foi et son amour pour l’Église et pour la Congrégation, il a su trouver les solutions justes pour le bien de l’ensemble.”[3]
Déjà dans son discours de clôture du XVe chapitre, il affirmait sa foi dans la vitalité de la Congrégation, appelée à témoigner d’un amour vrai et cohérent dans l’Église :
“La porte d’accès au mystère de l’Eglise pour nous comme pour le P. Dehon est le Cœur de Jésus. Si, après Vatican II, nous avons peut-être une conception plus claire et plus large de la dimension de ce mystère que celle qu’avait le Père Dehon après Vatican I, c’est le même mouvement dynamique qui nous porte du Cœur de Jésus à l’Eglise et nous ramène continuellement de l’Eglise à une meilleure compréhension de l’appel du Christ” [4].
“Notre chapitre doit se conclure sur une précise prise de conscience de la nécessité d’un profond renouvellement :
‑ renouvellement dans la conception de la vie religieuse et des traits caractéristiques de notre spiritualité ;
‑ renouvellement dans nos formes de vie et d’organisation, en fonction d’une conception plus évangélique des relations humaines et de l’autorité ;
– une prise de conscience renouvelée de certains de nos objectifs apostoliques, et surtout de l’inspiration qui doit animer chacune de nos activités”[5].
Le Concile était à peine terminé, et s’ouvrait une période délicate pour les congrégations religieuses qui devaient actualiser leur charisme et leurs expressions de vie et d’apostolat. Le père Bourgeois a rempli cette tâche pendant douze ans avec la responsabilité et l’ampleur de la vision qui le distinguent : ce furent des années difficiles pour la société et pour l’Église, et en plus, ce furent des années consacrées à la mise à jour des Constitutions selon les nouvelles orientations du Concile.
En 1973, le XVIe Chapitre a réélu le père Albert Bourgeois pour un nouveau sextennat, pour cela, il terminât son mandat de supérieur général le 6 juin 1979.
Pendant cette longue période, il a tout fait pour inspirer son action des “grands axes” proposés par le XVe chapitre et puis, de façon encore plus claire et consciente, par le XVIe chapitre : une tâche certes très lourde ; mais ce fut précisément ainsi qu’il a pu maintenir la Congrégation dans une fidélité lucide et cohérente au charisme du Fondateur et, en même temps, très ouverte à l’action de l’Esprit et aux signes des temps.
C’est pourquoi, il disait dans son discours d’ouverture du XVIe chapitre, que
“nous avons besoin de la puissance de Dieu, de la pensée et de la sagesse, ou plutôt de la folie du Christ…. Pour nous, Prêtres du Sacré-Cœur, c’est la folie du cœur. Nous ne pouvons pas permettre que, entre nous, soit bannie cette folie de l’amour… Du Cœur du Christ au cœur du monde ; du cœur du monde au Cœur du Christ : les chemins peuvent être différents, (mais) la référence ultime ne peut être qu’une : et c’est ce qui importe par-dessus tout”[6].
De ceci dérive l’urgence de réfléchir sur les défis et les attentes de notre temps afin de discerner la trajectoire d’une fidélité dynamique qui permettra à la Congrégation de rester, dans l’histoire de l’Église, “une réalité vivante”.
Le père Bourgeois a écrit des lettres circulaires très simples, uniquement dans le but d’entretenir des relations de communion et d’amitié avec les communautés de la Congrégation, des lettres qu’il écrivait surtout à l’occasion des fêtes de Noël ou du Sacré-Cœur. Mais il n’a pas hésité à écrire aussi des lettres sur des sujets qui étaient d’une importance capitale pour l’esprit et la vie de la Congrégation[7]. Ainsi, on peut vraiment dire que presque toutes les questions brûlantes de l’après-Concile[8] ont été abordées par le père Albert Bourgeois dans ses circulaires.
Dans la Lettre n°35, publiée en 1977, à l’occasion du centenaire de la Congrégation (1877-1977), le père Bourgeois écrit que c’est une occasion pour regarder notre passé et admirer son développement et sa croissance continus :
“Cent ans”, nous disent les historiens et les sociologues, pour les institutions, et de façon particulière pour les institutions religieuses, représentent en effet un âge crucial, comme c’est le cas pour les individus, l’âge critique, selon la vieille expression populaire, quand les traits de développement se modifient, surviennent des mutations dans les tissus, et petit à petit s’impose un nouveau rythme de vie. Les comparaisons biologiques n’ont cependant qu’une valeur relative lorsqu’il s’agit de la vie spirituelle, et les institutions elles-mêmes manifestent des ressources de renouvellement et de rajeunissement qui n’ont ni la chair ni le sang, ni les os ni les muscles. A tout bon compte, il n’appartient certes pas aux historiens, biologistes ou sociologues, aux optimistes, aux pessimistes ou aux “réalistes” de nous dire le dernier mot sur le présent et l’avenir de notre Congrégation centenaire. Mais c’est à l’Esprit Saint en personne que notre Règle de vie nous renvoie ; lui qui était à l’origine (n. 1), reste toujours le point de référence de notre histoire et de notre fidélité (nn. 47-48), parce que nous sommes ” certains de l’indéfectible fidélité de Dieu”, parce que nous voulons être “enracinés dans l’amour du Christ” et dans “l’ouverture du cœur et de l’engagement pour accueillir l’aujourd’hui de Dieu” (n. 57)”[9] .
Un homme simple et sage
À la fin de son mandat, le père Albert Bourgeois resta à Rome. Il continua à donner sa précieuse contribution à l’actualisation de la vie dehonienne et s’engagea encore plus à étudier les écrits et le charisme du Père Dehon, ainsi que l’histoire et la spiritualité de la congrégation. De cette manière, dans sa dernière période de vie (1979-1992‑), il réussit à publier diverses études, fruit de ses recherches.
Homme simple, enclin au bien et à la modestie, travailleur infatigable et méthodique, exemple de vie de prière, la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus se souviendra de lui avec affection et gratitude, en lui attribuant le mérite de la réussite de l’aggiornamento (du renouvellement) qu’il a impulsé avec fermeté et sagesse dans la trajectoire d’une fidélité dynamique. Un témoin dit de lui :
“Ce que je veux surtout souligner, chez notre ami, chez notre frère, c’est la profonde unité, la cohérence et la transparence de sa vie. Ses très riches qualités humaines, une intelligence bien dotée et cultivée, un zèle infatigable pour le travail, une discrétion extrême surtout dans les circonstances de responsabilité difficile, sa simplicité, sa joie et sa capacité à la communiquer (son rire nous était connu, nous l’attendions !), sa rectitude et son sérieux dans tout ce qui lui était confié. Notre frère a constamment investi ces précieuses qualités humaines, et avec quelle générosité, au service de Celui qui l’avait appelé dès sa jeunesse à la vie religieuse et sacerdotale. À travers ses tâches nombreuses et variées, comme enseignant très apprécié et véritable éducateur, comme Supérieur de la Province puis de la Congrégation, en tout cela, nous avons connu un Père Bourgeois très présent, fervent, ouvert d’esprit et ingénieusement fidèle. Surtout, il était le religieux, le supérieur providentiel de notre Congrégation à un moment délicat de notre parcours. Il a su souligner l’essentiel : notre vocation comme réponse d’amour à l’Amour. Il nous a vigoureusement aidés à trouver joie et dynamisme tout autour de la grâce de nos origines ici à Saint-Quentin. Et il a beaucoup payé de sa personne : infatigable, toujours au travail, à étudier, à écrire, à prêcher, à méditer et à nous faire méditer, avec compétence et enthousiasme l’expérience de foi du Père Dehon et, à travers elle, l’insondable richesse du Coeur du Christ. Oui, il a beaucoup payé de sa personne : avant tout, il a vécu ce qu’il a étudié et écrit. Il a souffert, offrant sa vie jusqu’à la fin, en union avec l’oblation de Jésus”[10].
Dans l’après-midi du samedi 21 novembre 1992, le père Albert Bourgeois, sixième supérieur général, est décédé à Paris, après une longue maladie. Il a été enterré à Saint-Quentin.
Ses écrits
Parmi ses nombreuses publications, nous pouvons certainement citer en premier lieu le volumineux commentaire sur les Constitutions : Notre Règle de Vie. Un Itinéraire, Studia Dehoniana série n. 15, en trois volumes.
Toujours dans les éditons Studia Dehoniana, Le Père Bourgeois a également publié :
n. 13 : The Constitutions of the Priests of the Sacred Heart ; Reader’s Guide (nn. ‑139), 1985 ;
n. 14: Les Notes Quotidiennes du P ‑Dehon ‑Avant propos à une édition, 1985;
n. 16: Pour une théologie de la charité et de la vie d’amour, 1990;
n. 23: L’expérience spirituelle du Père Dehon, 1990;
n. 25.1: Le Père Dehon et le Règne du Cœur de Jésus, 1990;
n. 31 : A propos des Constitutions. Digressions. 1992.
Et aussi : Léon Dehon : Correspondance 1864-1871, Ed. Dehoniana, Rome 1992.
Enfin nous avons l’œuvre posthume : Le Père Dehon et le Règne du Cœur de Jésus, Studia Dehoniana 25.2, 1994.
Outre toutes ces publications, plus ou moins volumineuses, du Père Bourgeois, nous avons les articles publiés dans Dehoniana et, en plus, de nombreux autres textes encore manuscrits comme les homélies, les notes de lectures faites, les réflexions personnelles, etc.
Nous terminons cette petite biographie par la prière écrite par le Père Albert Bourgeois pendant sa préparation aux Ordres Majeurs le 8 mars 1947 :
“Seigneur, je ne sais quoi te dire, je n’ai pas une brillante idée, mais je sais et je sens que je t’aime. Je souffre beaucoup de ma médiocrité alors que tout mon tempérament me pousse vers la totalité. Ne me permettez pas de me faire des illusions sur cette totalité, mais laissez que moi je m’en rende compte dans les détails des petites vertus et des petits gestes. Donne-moi pureté, humilité, générosité, attention fidèle. Peu importent les belles phrases et les belles pensées si ma vie est banale ou médiocre, si elle n’est pas contrôlée en tout par la passion de ton amour”[11] .
[1] Prière écrite pendant la retraite du sous-diaconat, 25-31 mai 1947.
[2] Brochure Albert Bourgeois, Curie générale SCJ, Rome 1993, 35.
[3] Ibid, 7.
[4] Documenta VII, 300.
[5] Ibid. 303.
[6] Documenta IX, 153.
[7] Fidélité dynamique dans notre Congrégation, L’importance de l’acte d’oblation dans notre vie religieuse, Vocation et tâches des frères dans la Congrégation, Communion et amitié dans la communauté, Esprit de pénitence et de réparation, Spiritualité du Sacré-Cœur et charisme de notre fondateur, Sauvegarde de l’identité et des caractéristiques du charisme dehonien, Regard sur le passé de notre Congrégation et admiration pour son développement et sa croissance continue.
[8] Fidélité dynamique, Identité du charisme, Témoignage dans l’Église d’une vie communautaire dont le seul motif est la fraternité, La dimension apostolique de la vie religieuse dans un Institut apostolique, problématique du sacerdoce ou de l’existence sacerdotale, Valeurs du mystère de l’Incarnation pour toute l’Église.
[9] Père Albert Bourgeois, Noël de cette année (pour le centenaire de la Congrégation), Lettre circulaire n° 35, Rome, 9 février 1977. La numérotation se réfère à la Règle de Vie approuvée ad experimentum lors du XVIème Chapitre Général.
[10] Témoignage du père Perroux, Saint-Quentin, 25 novembre 1992.
[11] Brochure Albert Bourgeois, Curie générale SCJ, Rome 1993, 32.