18 juin 2021
18 juin 2021

Relire les Constitutions (I)

Présentation en série du « Guide de lecture » des Constitutions, rédigé par le Père Albert Bourgeois.

par  P. Albert Bourgeois, scj

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Dans sa lettre du 2 février 2021, notre Supérieur Général invitait l’ensemble de la Congrégation à avoir un nouveau regard sur le P. Albert Bourgeois comme Supérieur Général pour le renouvellement de la Congrégation dans l’esprit du Vatican II. Les Constitutions sont le fruit de ce renouveau et le 14 mars 2022, nous commémorerons le 40e anniversaire de leur approbation. Une initiative que nous promouvons est la présentation d’un “Guide de lecture” des numéros 1-39 que le Père Bourgeois a écrit en 1982. Ce texte existait ici et là dans différents formats, et maintenant nous pouvons le partager avec toute la congrégation en cinq langues. Le mérite de ce “Guide de lecture” consiste tout d’abord dans l’autorité du P. Bourgeois en raison de sa proximité avec le processus d’élaboration des Constitutions. Ce guide de lecture ne commente pas chaque numéro individuellement, mais offre une vision globale, en identifiant les dynamiques internes et les références, faisant ainsi ressortir ses fondements et ses valeurs.

Quarante ans ont passé et pourtant ce texte reste une lecture très riche pour ceux qui veulent pénétrer l’esprit des Constitutions.

“Le guide de lecture” sera publié en plusieurs fois. Le premier est consacré au contexte historique et théologique de la naissance de nos Constitutions.


I – Le Texte

1. De nouvelles Constitutions

23    Sans en refaire l’histoire détaillée, il n’est pas inutile, pour une bonne compréhension du texte lui-même d’en connaître les principales phases d’élaboration. L’Introduction de l’édition provisoire de 1980 : “Une rénovation adaptée”, en rappelle très brièvement quelque chose (cf. pp. X-XII), et pour une information plus complète, on se reportera aux “actes” même des Chapitres et des Conférences (Documenta VII-XI, notamment en Doc X le “Discours d’ouverture” de la 2° Conférences Générale : pp. 15-18). Les “journaux”, alors diffusés pour l’information immédiate de la Congrégation, donnent aussi beaucoup de détails.

1.1. L’itinéraire

24    A noter tout d’abord que cette “révision”, ou plutôt cette “refonte” – car il s’agit de beaucoup plus que d’une simple révision – ne fut pas le fait d’une initiative personnelle ou de l’action d’un groupe plus ou moins avancé et en mal de changement. C’est à l’appel de l’église qu’elle fut engagée, comme en 1902 et 1923, mais dans un sens beaucoup plus large, dans le mouvement de l’aggiornamento et des orientations conciliaires.

25    L’itinéraire fut long et complexe : 12 ans de réflexion, trois Chapitres Généraux (totalisant 7 à 8 mois de sessions), avec une grande enquête scientifiquement préparée et élaborée (CIRIS, 1970-1971) ; deux Conférences Générales (1969 et 1976), de nombreuses réunions et sessions et diverses publications…

26    Une chemin parcouru étape par étape, non pas sans doute dans le brouillard, mais sans plan prédéterminé et fixé. Il n’y avait pas, comme en 1902 ou 1923, de schéma directeur donné par le S. Siège, mais des orientations et indications générales sur le contenu et sur le genre de document, sur les moyens et les délais de réalisation ; mais pas de modèle.

27    Chaque moment a été ainsi vécu, chaque étape a été parcourue, sinon pur elle-même, du moins selon la situation psychologique, sociale, spirituelle et ecclésiale, suivant l’évolution des mentalités et des situations pendant ces douze ans.

1.2. Les étapes

28    1966-1967 : Quatre mois de sessions capitulaires, en deux temps séparés par une année de travail en commissions inter-capitulaires. C’est le temps de la recherche ardente, un peu novice, mais non sans ferveur ni fermentation généreuse. Une nouvelle prise de conscience commence, à la lumière de l’événement et des documents conciliaires : identité de la Congrégation, aspirations diffuses des membres, des communautés, des Provinces, pour un renouveau de l’inspiration, du style de vie et de l’organisation interne ; et surtout relativement à l’insertion ecclésiale en général, une plus claire affirmation du caractère et de la mission apostolique de l’institut.

29    Les Documenta VII, un peu diffus mais extrêmement riches à tous points de vue, sont le résultat de cette longue réflexion, prolongée encore à la Conférence de 1969 (cf. Doc. VIII) et résumée dans les “Directives Capitulaires” alors publiées.

30    1972-1973. La préparation et la célébration du XVI0 Chapitre Général dans un climat général, social, politique et ecclésial assez troublé. Un peu partout, c’est un temps de crise ou du moins d’assez grandes tensions à l’intérieur de la plupart des Provinces ; les Chapitres provinciaux préparatoires en témoignent, ainsi que la mise en route difficile du Chapitre Général lui-même.

31    A ce sujet cf. les “Actes” du Chapitre (Doc. IX) : les six grandes questions préalables posées dès l’ouverture des travaux (pp. 20-21). Finalement quand on eut réfléchi et discuté, en priorité, trois jours sur “la Justice dans le monde” dans son rapport avec notre vie religieuse (thème du précédent Synode épiscopal de 1971), le projet de Constitutions préparé par les Commissions se vit écarté et l’on s’attela à la rédaction d’une Règle de Vie.

32    Après quelques incidents de parcours, un texte fut réalisé et approuvé à une large majorité et, en général, fut bien accueilli dans l’ensemble de la Congrégation.

33    1979 : Au XVII Chapitre, un climat relativement serein, correspondant à une certaine stabilisation et maturation dans les Provinces. Le besoin est ressenti et exprimé d’un nouvel élan à donner à la rénovation profonde, pour une vie religieuse, spirituelle et apostolique, soutenue par une sorte de formation permanente. La révision de la Règle de Vie de 1973 tend à une “dehonisation” plus explicite et plus profonde, conformément à l’ensemble des amendements ou compléments demandés par les Chapitres Provinciaux, soit pour le plan général, soit pour les détails ; le mot d’ordre restant de “faire fructifier le charisme du P. Dehon selon les exigences de l’Eglise et du monde”.

34    A cet effet, il faut noter le rôle important joué par la célébration du Centenaire de la Congrégation (1978), qui fut l’occasion providentielle d’un retour aux sources, de redécouverte, l’actualisation et d’approfondissement.

1.3. Observations

35    Ce bref résumé ne rend évidemment pas compte de toute l’expérience vécue par les personnes, les groupes ou l’ensemble de la Congrégation. On peut cependant faire les observations suivantes.

36    Le texte qui nous est remis par le Chapitre est le résultat d’un travail continu, effectué aux divers niveaux, par l’information, l’enquête, la réflexion et la pratique. A considérer l’ensemble du parcours, c’est la vie de la Congrégation qu’on découvre, non d’un corps mort ou mourant, mais qui vit et veut vivre ; avec des heurts, des creux, des temps morts ou plus ternes et des inquiétudes, mais aussi une vie organique continue dans sa rénovation même. La confrontation des Documenta VII (ou des Directives Capitulaires) avec les Constitutions de 1979 permet de discerner la continuité, en même temps qu’une purification et une clarification. Il y a des mots-clés et des valeurs sur lesquels les membres de la Congrégation et les communautés se sont toujours reconnus et auxquels on s’est toujours rallié. L’expérience a été faite de la réalité et de la valeur d’un “esprit”, ou du moins d’une sensibilité SCJ.

37    Tout au long du parcours, même si on n’en prend bien conscience qu’après coup, se discerne l’action de l’Esprit Saint lui-même, guidant et inspirant l’effort humain, personnel et communautaire, pour coller à l’événement et aux situations, orienter et adapter l’évolution, surmonter les différences, retrouver la cohérence et la cohésion. Malgré toutes les maladresses ou les incompétences, et surtout aux moments cruciaux de 1973, on reconnaît sa présence et sa conduite ; ce dont le n. 15 de nos nouvelles Constitutions témoigne à sa manière pour ce moment particulier de notre vie et de notre histoire religieuse : “A partir de la grâce des origines”, elle se développe en se nourrissant de ce que l’Eglise, éclairée par l’Esprit, puise constamment dans le trésor de sa foi.

38    A ce titre, selon une expression que nous expliquerons, nos nouvelles Constitutions sont, en quelque manière, pour nous, une sorte de Deutéronome : “notre deutéronome” (cf. pp. 95-100).

2. Des Constitutions “nouvelles”

39    “Nouvelles”, certes, par le genre littéraire : c’est bien un nouveau type de Constitutions, un simple coup d’œil sur la disposition du texte suffit pour s’en rendre compte. On ne parlera pas de “poésie”, mais cela surprend d’abord et peut-être indispose un peu, au souvenir des anciens recueils.

40    Mais la “nouveauté” est aussi beaucoup plus profonde.

2.1. Le contenu

41    Pour le contenu d’abord, où le “juridique” et le pratique semblent comme immergés et noyés dans le “spirituel”.

42    Ainsi, des 39 premiers numéros – que nous considérons d’abord plus spécialement – un seul (n. 8) est strictement juridique, et, dans une certaine mesure, quelques numéros sur la mission ecclésiale et les engagements apostoliques (nn. 30-34). Tout le reste relève plutôt du genre exposé doctrinal, méditation, exhortation.

43    A ce sujet, il faut rappeler les deux grandes directives du S. Siège pour la révision des Constitutions :

–   distinguer le “Code fondamental” (les Constitutions) qui doit comporter ce qui, pour la nature et la vie de l’institut, est considéré comme stable et constitutif ; et le “code complémentaire” (Directoire, coutumier, etc.,) auquel est renvoyé tout ce qui est application et adaptation variable selon les temps et les lieux ;

–   unir convenablement, dans le Code fondamental lui-même, les deux éléments spirituel et juridique, et ne pas rédiger un texte purement juridique ou purement spirituel (cf. ES II, 12-14. 1967).

44    Pour l’histoire, notons que cette intégration du juridique et du spirituel n’était pas absente de nos premières Constitutions (1885-1886). Elle avait été pratiquement dissoute, à partir de 1902, dans les Constitutions latines, et alors aussi, conformément à des “normes “du Saint-Siège. On avait alors le “juridique” dans les Constitutions et le “spirituel” dans le Directoire (spirituel précisément) : une dichotomie qui avait bien des conséquences, sous bien des rapports, et non pas seulement pour la forme, mais pour la vie.

45    La nouvelle conception et présentation nous vaut un texte qui se veut non pas seulement préceptif, mais inspirant. L’intégration réalisée assure, d’une part, aux normes juridiques leur arrière-plan et leur motivation proprement doctrinale et spirituelle, et d’autre part, confère aux orientations spirituelles elles-mêmes un certain caractère constitutif, qu’elles n’avaient pas dans le Directoire. C’est l’ensemble du texte qui s’intitule “Constitutions”, nouveau “code fondamental” qui, avec le “Directoire Général”, ou “code complémentaire” doit, selon la définition du Chapitre Général (1979), composer notre Règle de Vie.

2.2. Le contexte doctrinal

46    Mais plus encore que le contenu matériel ou le genre littéraire, c’est le contexte ou le “climat” doctrinal qui est la nouveauté principale et la plus profonde.

47    Pour le contexte doctrinal, des “principes généraux de rénovation adaptée” avaient été formulés par le Concile :

–   l’enseignement de l’Evangile comme norme ultime de la vie religieuse et règle suprême de tous les Instituts ;

–   la fidélité à l’esprit des fondateurs et à leur intention spécifique, aux saines traditions et à l’ensemble constituant le patrimoine de chaque Institut ;

–   la communion à la vie de l’Eglise dans les divers domaines biblique, dogmatique, pastoral, œcuménique, missionnaire, social ;

–   une suffisante information de la condition humaine et des traits particuliers du monde d’aujourd’hui ;

–   une réelle rénovation spirituelle des personnes et des communautés (cf. PC 2).

48    La référence à la vie de l’Eglise et au monde contemporain, en même temps qu’à l’esprit du Fondateur, était sinon totalement nouvelle, du moins la plus exigeante pour une “rénovation adaptée”. Elle définit ce qu’on a apporté chez nous explicitement, dès 1967, une ligne de “fidélité dynamique” ; en 1967, dans la réflexion préparatoire ; en 1973, pour la première Règle de Vie ; en 1979, pour la révision et la mise au point des Constitutions elles-mêmes.

49    C’est ce qu’on devra garder présent et vérifier dans l’étude, l’explication ou la méditation du texte : dans sa structure littéraire, sa dynamique interne et aussi à propos de l’approche pédagogique, pour la présentation de l’expérience et du charisme du Fondateur, sur laquelle s’ouvre le texte (Chapitre I), celle de notre propre expérience et des divers thèmes intéressant la vie spirituelle et la vie religieuse apostolique SCJ : oblation, abandon, adoration, réparation ; et évidemment tout ce qui concerne les vœux, la vie communautaire sous ses divers aspects et la mission apostolique de l’Institut.

50    La référence à l’esprit du Fondateur et à ses intentions spécifiques est significativement marquée par la description initiale de “l’expérience de foi du P. Dehon”, à l’origine de ce qu’on appelle l’esprit et le caractère propre de la Congrégation dans ses grandes orientations doctrinales, spirituelles et apostoliques.

51    A cet effet et à titre de document de référence, le Chapitre Général demandait que soit reproduits, en annexe aux nouvelles Constitutions, les deux premiers chapitres des anciennes – les Constitutions latines de 1902-1956, substantiellement fidèles, de l’avis du P. Dehon, aux françaises de 1885 – ces deux premiers chapitres considérés par le P. Fondateur comme la charte fondamentale de la Congrégation.

52    Fidélité, mais fidélité dynamique, étant bien entendu qu’on ne lit plus, après Vatican II, les deux premiers chapitres de 1956 avec les mêmes yeux et sous la même lumière qu’avant le Concile. Les nouvelles Constitutions ne veulent être qu’un reflet de cette nouvelle lecture.

53    De cette “fidélité dynamique”, le principe est formulé par notre texte :

–   au n. 15, à propos de “notre vie religieuse” : Pour chacun de nous, pour nos communautés, la vie religieuse est une histoire : à partir de la grâce des origines, elle se développe en se nourrissant de ce que l’Eglise, éclairée par l’Esprit, puise constamment dans le trésor de sa foi.

–   et au n. 16 à propos de “notre vie spirituelle de Prêtres du Sacré-Cœur “Pour nous, vivre” selon le charisme du Fondateur, c’est entrer dans un mouvement de vie, qui, lui aussi, a nécessairement une “histoire” : une approche commune du mystère du Christ sous la conduite de l’Esprit, une attention particulière pour ce qui, dans l’inépuisable richesse de ce mystère, correspond à l’expérience du P. Dehon et de nos aînés.

54    On appréciera la nuance et la justesse de ce verbe “correspondre” (et non “reproduire”) pour caractériser une fidélité dynamique et historique au sens fort du terme.

55    Enfin, on remarquera la grande “inclusion “qui encadre tout le texte des Constitutions :

–   au n. 1 : “Elle (la Congrégation) est appelée à faire fructifier ce charisme selon les exigences de l’Eglise et du monde” ;

–   et n. 144 : “sur notre vie religieuse, participant à l’évolution, aux épreuves et à la recherche du monde et de l’église, constamment interpellée… pour repenser et ré-exprimer sa mission ses formes de présence et de témoignage… et, dans la disponibilité de cœur et d’attitude, accueillir l’Aujourd’hui de Dieu”.

56    Dans tous ces numéros, la double mention de l’Eglise et de l’Esprit précise aussi, avec bonheur, ce qui doit assurer à cette fidélité dynamique, sa garantie, non seulement ecclésiastique ou ecclésiale, mais charismatique, d’authenticité.

2.3. L’approche pédagogique

57    Enfin, ce qui aussi fait, à sa manière, la nouveauté de ces Constitutions, c’est le mode de présentation, ou pour mieux dire, l’approche pédagogique.

58    L’ensemble du texte a bien sa structure ou son développement logique et en quelque sorte linéaire, dont on se rend facilement compte en parcourant la table des matières, la suite des titres et sous-titres :

59    Cinq parties (ou documents) où l’on retrouve, plus ou moins les divisions traditionnelles :

–   Définition ou description de notre vie religieuse SCJ sous ses divers aspects : son “esprit” (1-39) – la profession des conseils évangéliques et la vie communautaire (40-85) ;

–   Initiation à notre vie religieuse (entrée et formation dans l’Institut) nn. 86-106 ;

–   Gouvernement et administration : nn. 107-143.

60    Mais plus frappante est la formulation des titres et sous-titres, qui, surtout pour les deux premiers textes (chap. I-II nn. 1-85) constitue une sorte de phrase continue : “Selon le charisme du Fondateur… (1-8) … A la suite du Christ, au service du Royaume (9-39) … pour continuer la communauté des disciples (40-85).

61    Ce type de formulation se retrouve dans les sous-titres. Au lieu d’un mot ou d’un simple groupe de mots indiquant un thème qui sera développé par définitions St démonstration surtout déductive (cf. De fine Congregationis – De spiritu amoris et immolationis), on a désormais un lambeau de phrase où s’exprime un sorte de mouvement, le commencement d’un mouvement ou d’uni action. Ce n’est évidemment pas là pur artifice littéraire, mais la manifestation d’une intention, la mise en œuvre d’une méthode : ce que nous avons appelé “une approche pédagogique”.

62    Dans cette “approche”, la nature et la fin de la Congrégation et nos obligations elles-mêmes sont non pas déduites de concepts et de définitions (de la dévotion au Sacré-Cœur, de l’oblation et de la réparation), mais en quelque sorte induites à partir de l’expérience elle-même, celle du fondateur et la nôtre, en une démarche que l’on pourrait dire “existentielle” ou encore “expérientielle”.

63    Dès 1967, ce genre de démarche était amorcé. On ne parlait déjà plus de “valeurs SCJ” à conserver et à valoriser, mais de fidélité à la mission prophétique du Fondateur, d’un effort pour reconnaître et revivre ses attitudes fondamentales, en ressaisissant le mouvement même de sa vie spirituelle, mystique et apostolique (cf. Doc. VII nn. 2-8).

64    Un lien vital est noté entre l’expérience du Fondateur, ses intentions fondatrices, la fin de la Congrégation et ses moyens d’action. C’est sensible dans les formules : “Le P. Dehon a voulu… De ses religieux il attend… (6-7) Disciples du P. Dehon nous voudrions… (17)… A la suite du Fondateur, nous voudrions contribuer… (32). Il est évident qu’on a voulu dépasser les formulations théoriques, les définitions, faire un texte inspirant, pouvant servir de Règle de Vie et non un simple recueil de normes pratiques et juridiques.

65    D’où la formulation le plus souvent descriptive ou exhortative. A partir de faits de vie – l’expérience du P. Dehon, notre expérience de foi, la vie de la Congrégation dans sa tradition et dans sa mission discernée aujourd’hui selon les exigences de l’Eglise et du monde – des normes de vie sont mises en lumière et un cadre institutionnel est précisé, réalisant l’intégration ecclésiale de notre vie et de notre communauté.

66    De l’expérience à la loi et de la loi à l’expérience, il y a une sorte de dialectique de la vie et de l’institution, qui est sans doute le caractère le plus intéressant et le plus typique de la nouvelle formulation. Et c’est aussi ce qui permet, dans ce code fondamental que sont les Constitutions, de prévoir et d’intégrer au mouvement de la fidélité profonde la possibilité et même la nécessité d’une rénovation continue et d’une “conversion permanente… pour accueillir l’Aujourd’hui de Dieu” (n. 144).

3. Structure littéraire

67    Concernant la structure et le développement logique et, en quelque sorte linéaire de l’ensemble du texte, on en découvre facilement l’essentiel en consultant la table des matières.

3.1. Les deux premiers chapitres

68    Il convient cependant de considérer à part l’ensemble des chapitres I-II (nn. 1-85), constituant comme une 1° Partie sur “notre vie religieuse, sa nature, sa spiritualité, ses formes de vie”.

69    Notons, pour l’ordre des parties et des paragraphes, dans cet ensemble, les trois modifications de plan réalisées en 1979 sur le texte de 1973 :

–   pour les numéros sur “les attentes et appels du monde : 9-10 (en 1973), 36-37 (en 1979) ;

–   pour les paragraphes sur l’union au Christ (la vie spirituelle SCJ) : 47-55 (en 1973), 16-25 (en 1979) ;

–   pour l’inversion de l’ordre : vie communautaire/vœux : 1973: 17-26/ 27-41 ; 1979: 40-58/ 59 -84.

70    Il ne s’agit évidemment pas là de modifications purement formelles et rédactionnelles ; de sérieuses : questions y sont engagées, qui intéressent la conception de la vie religieuse et sa présentation non seulement canonique, mais théologique, ainsi que la pédagogie de la formation et la “mission “mime de la congrégation dans l’Eglise, comme on le verra.

71    La structure générale et le développement logique de cet ensemble 1-85 sont les suivants :

  1. 1-8 : L’origine, la nature et le but fie la Congrégation considérée à partir de l’expérience et des intentions du Fondateur ;
  2. 9-39 : Le sens, l’esprit et la mission de la vie religieuse SCJ dans l’Eglise et le monde d’aujourd’hui (“identité, spiritualité, mission) ;
  3. 40-85 : Les éléments constitutifs principaux de notre vie religieuse comme telle :

–    la profession des conseils évangéliques (40-58) ;

–    la vie communautaire selon ses diverses dimensions (59-85).

72    Sous-jacente cependant à cette structure générale apparente, une autre est discernable, parallèle dans les deux chapitres, dont la continuité est marquée d’ailleurs dans la suite des titres : “Selon le charisme du Fondateur… à la suite du Christ…”. C’est en référence à l’expérience et au charisme du Fondateur que nous sommes appelés à suivre le Christ.

73    Selon le charisme du Fondateur nous sommes :

–   “religieux” : 1. La Congrégation suscitée et envoyée par l’Esprit (n. l) ;

–   “dehoniens” : 2. Selon l’expérience de foi du P. Dehon (nn. 2-5) ;

–   pour l’apostolat : 3. Au service de l’Eglise (nn. 6-7) ;

–   en communauté : 4. En communauté fraternelle (8).

74    A la suite du Christ aujourd’hui nous sommes :

–   “religieux” : A.1. Notre expérience de foi (n. 9) ; A.2. Témoins de la primauté du Royaume (nn. 10-15) ;

–   “dehoniens” : A.3. Unis au Christ dans son amour et son oblation au Père (16-25) ;

–   pour l’apostolat : A.4. Participants de la mission de l’Eglise (26-34) ; A.5. Attentifs aux appels du monde (nn. 35-39) ;

–   en communauté : B.1. Appelés à professer les Béatitudes (40-58) ; B.2. Appelés à vivre en communauté (59-79).

75    A l’Eucharistie et à la Vierge Marie, en raison de leur rôle particulier dans notre vie, ont été consacrés deux paragraphes :

–   B.3. Fidèles à la fraction du pain (nn. 80-84) ;

–   B.4. Avec la Vierge Marie (n. 85).

76    A vrai dire le paragraphe sur l’Eucharistie se rattache aussi à la vie communautaire, comme le troisième élément de vie communautaire chrétienne mentionné par le texte des actes (2,42) auquel il est fait référence. Par ailleurs le rôle important tenu par l’adoration eucharistique dans la “mission” ecclésiale de la Congrégation (cf. n. 31) inviterait à intégrer en quelque manière le culte eucharistique lui-même dans la partie consacrée à cette mission.

77    De l’ensemble 1-85 en ses trois parties (1-8 ; 9-39 ; 40-85), les deux premières intéressent plus spécialement le charisme et l’identité de la Congrégation. Le troisième, en effet, traite de la nature et de la pratique de la vie religieuse en général, même si évidemment dans chaque Congrégation, celle-ci est informée et caractérisée par le charisme et l’identité propre de chacune.

78    Cet ensemble 1-39 correspond pratiquement aux deux premiers chapitres des anciennes Constitutions nn. 1-13 :

–   I. De fine Congregationis.

–   II. De spiritu amoris et immolationis.

79    Ces deux premiers chapitres, de caractère et de formulation proprement juridique, avaient leur développement et leur commentaire “spirituel” dans le Directoire Spirituel.

80    A ce titre, ces nn. 1-39 des nouvelles Constitutions méritent une attention particulière pour une vérification de notre fidélité à la recommandation du P. Dehon dans son Testament spirituel : “Nous ne devons jamais perdre de vue notre but et notre mission dans l’Eglise, tels qu’ils sont marqués dans les deux premiers chapitres de nos Constitutions”.

81    N.B. Ces deux premiers chapitres des Constitutions latines n’étaient qu’une formulation plus juridique du 1° chapitre des Constitutions françaises de 1885 : “But et esprit de la Société”. De ces derniers textes ont pourra lire la présentation qu’en fait le P. Denis : Projet du P. Dehon (STD n. 4, Ed. fr., pp. 8-14 et 124-135).

3.2. L’ensemble des nn. 1-39

3.2.1. Plan

82    On en discerne assez facilement la structure et le mouvement :

  1. Selon le charisme du Fondateur (l-8) : l’expérience de foi du P. Dehon à l’origine de la Congrégation (2-5), à partir de laquelle l’Institut tient son caractère propre au service de l’Eglise (6-7), selon un statut canonique déterminé (8).
  2. A la suite du Christ (9-39) notre expérience de foi et notre vie religieuse SCJ :

–    9-15 : “avec tous nos frères chrétiens” (cf. 9 et 13) : dans la foi, pour parvenir à la sainteté, notre vocation religieuse, comme don particulier et engagement à suivre le Christ par la profession de tendre à la charité parfaite ;

–    16-39 : “Disciples du p. Dehon” dans la Congrégation :

+   16-25 : “le principe et le centre de notre vie” les modalités de notre vie d’union au Christ dans le mystère de son Cœur :

+   une oblation vécue dans la disponibilité et la solidarité (cf. 18 et 21)

+   notre insertion dans le mouvement de l’amour rédempteur (21), selon les diverses modalités d’une vocation réparatrice (22-25).

+   26-39 : “notre charisme prophétique” : au service de la mission de l’Eglise (26-34) ; dans le monde d’aujourd’hui (35-39).

83    Et l’on notera aussi, comme particulièrement significatives, les deux expressions conclusives des deux derniers développements : n. 25 “… pour la Gloire et la Joie de Dieu” et le n. 39 “… pour l’avènement de l’humanité nouvelle en Jésus-Christ”.

84    Cette analyse a l’avantage de la clarté pour une première lecture. Elle risque cependant, telle quelle, de trahir un peu le texte lui-même, en paraissant distinguer, superposer ou juxtaposer vocation baptismale et vocation religieuse d’une part, et d’autre part, “spiritualité” et “mission”. La réflexion sur notre expérience de foi et notre vie spirituelle devra être attentive à corriger cette première impression.

3.2.2. Une démarche existentielle

85    La référence à l’expérience, comme il a été noté, rythme le texte : de l’expérience de foi du Père Dehon (2), à notre expérience de foi avec tous nos frères chrétiens (9) en ce qui correspond à l’expérience du P. Dehon et de nos aînés (16).

86    Cette référence est ce qui confère à l’ensemble comme une sorte de dynamique interne, un mouvement dont il n’est pas trop difficile de reconnaître les “temps” ou les “moments”, comme une nouvelle structure, à la fois vitale et littéraire, doublant la première plus logique. (cf. 3.2)

87    Les articulations sont nettement marquées aux trois numéros introductifs 9, 16, 26, par les participés : “Initiés… appelés… consacrés…” décrivant le mouvement de l’initiation à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ à l’engagement sans réservé “pour l’avènement de l’humanité nouvelle en Jésus-Christ” (39).

88    Dans ces trois numéros, on note aussi la triple référence :

–   à la Personne et au mystère du Christ, expérimentée dans la foi, dans l’amour et dans le don ;

–   à l’Eglise, comme lieu et milieu de notre initiation, de notre vocation et de notre consécration ;

–   à l’Esprit, pour la confession de foi, pour la vie spirituelle, et pour la “visée spirituelle” qui caractérise le service de notre “charisme prophétique”.

89    Ces trois grandes références – avec quelques autres comme celles du Royaume, du monde ou de l’humanité – peuvent être observées tout au long du texte à propos des divers thèmes. Indubitablement, une bonne compréhension de ces Constitutions demande qu’on en médite sérieusement la christologie et l’ecclésiologie, et qu’on fasse à l’Esprit sa juste place. Les perspectives purement dévotionnelles ne suffisent plus pour cela.

3.2.3. Une dynamique dialogale

90    Dans les trois développements qui leur sont consacrés, l’expérience du P. Dehon, de notre foi baptismale, de notre vie Scj, la description suit un chemin parallèle en deux temps : aux nn. 2-3… 10-12… 19-21, qui décrivent comme un premier temps, de l’initiation, de la rencontre ou de la découverte de Jésus-Christ qui est appel et vocation, répondent les nn. 4-5/6-7… 13-14… 17-18/22-24 et 26-39, qui décrivent la réponse spirituelle et apostolique dans laquelle, pour le p. Dehon et pour nous, s’exerce notre “charisme prophétique” et se réalise notre mission ecclésiale.

91    Il y a là comme une sorte de mouvement ou de dynamique dialogale qui, selon J. Mouroux, est essentiellement celle de l’expérience spirituelle chrétienne. Celle-ci est “l’acte ou l’ensemble d’actes par quoi l’homme se saisit en relation avec Dieu” et plus précisément “l’acte de la personne se livrant à Dieu qui l’appelle”. L’expérience religieuse est “la conscience de cette réponse à l’appel, la saisie de ce contact à travers le don, la découverte de la présence divine au sein du ‘oui’ qui nous fait entrer en elle” (cf. J. Mouroux : L’Expérience chrétienne, p. 26). Cette définition est une bonne introduction pour comprendre la dynamique de notre texte et aussi sa structure littéraire.

92    Il conviendrait ici de réfléchir sur ce qu’on entend exactement par “expérience de foi”, “expérience spirituelle chrétienne”, de reconnaître au moins les éléments d’une théologie de l’expérience : sa nature, sa possibilité, la conscience qu’on en prend, les grands types d’expérience spirituelle dans l’Ecriture et dans la vie des saints, les lignes de structure d’une telle expérience… Ce sont là des thèmes de grande importance pour une saine conception et aussi pour l’authenticité de la vie de foi et d’amour. Outre le livre de J. Mouroux : L’Expérience chrétienne-Introduction à une théologie (coll. Théologie 26), cf. au Dictionnaire de Spiritualité (IV col. 2004-2026) ou encore de Urs von Balthasar : La Gloire et la Croix, I. Apparition pp. 185-360 (coll. Théologie 61).

3.2.4. Une perspective eschatologique

93    Aux principales articulations du texte apparaît une formule de caractère eschatologique :

–   ainsi, au n. 10, à propos de la mission du Christ, “…quand, par Jésus, Dieu sera tout en tous” formule à laquelle les citations de Rom 8,22-23 et 1Cor 15,28 donnent toute leur résonance ;

–   et surtout, pour notre vie d’amour et de réparation : au n. 20 : “… pleine manifestation et récapitulation…” ; au n. 25 : “… l’humanité rassemblée en corps du Christ” et, pour notre mission apostolique : au n. 29 : “… la plénitude du Royaume” ; au n. 39 : “… l’avènement de l’humanité nouvelle en Jésus-Christ”.

94    C’est ainsi comme un grand rythme et une large respiration qui est donnée à l’ensemble du texte, dans une vaste et constante référence et perspective eschatologique. Le VIII et dernier chapitre de Lumen Gentium traite explicitement du “caractère eschatologique de l’Eglise en marche et de son union avec l’Eglise du ciel”, comme horizon de toute la vie de l’Eglise et de la vie religieuse en particulier. C’est dans cette ligne que se situe notre texte des Constitutions. C’est assez caractéristique de l’effort de renouvellement proposé, car cette perspective eschatologique, essentiellement ecclésiale, apostolique ou prophétique, n’était guère présente ni sensible jusqu’ici dans les textes officiels de la Congrégation ni dans les exposés de notre spiritualité ; même dans le Directoire où la référence à l’Esprit-Saint et à l’Eglise est assez rare.

95    C’est en quelque sorte, dans un nouveau “paysage” théologique que nous sommes invités à vivre notre vie spirituelle et apostolique et que prennent leur sens les mots et les notions d’union, d’oblation, d’abandon, de réparation, aussi bien que notre adoration et nos ministères, et évidemment surtout la référence et la dévotion au Cœur de Jésus-Christ.

4. Conclusion

96    Ces observations et réflexions ne sont évidemment pas faites et proposées à titre de simples curiosités littéraires, mais parce qu’elles intéressent le fond, les intentions et l’inspiration. Quelques grands thèmes ou plutôt quelques grandes réalités théologiques – le Christ, l’église, l’Esprit, l’eschatologie – constituent des références générales, des “pôles” autour desquels vont tourner et s’organiser les thèmes particuliers intéressant notre expérience et notre vie religieuse dehonienne, selon une rénovation adaptée à “la vie de l’église dans les divers domaines biblique, dogmatique, pastoral, etc.”, conformément au troisième critère indiqué par Perfectae Caritatis 2c.

97    Le texte est, en outre, constellé de citations et de références plus ou moins explicites qui créent le “climat” (cf. nn. 10, 12, 16, 17, 19, 20, 22, 23, 25, 29, 38, 39) ; un climat qui, semble-t-il, est celui des épîtres de la Captivité de S. Paul, et notamment du couple Colossiens-Ephésiens, des “hymnes” célèbres de Col 1,12-20 et Eph 1,3-14, le n. 19 renvoyant explicitement à ce dernier.

98    Cet hymne des Ephésiens serait une bonne méditation d’ouverture – comme celle du “Principe et Fondement” au début des Exercices de s. Ignace – pour entrer dans ce climat de “rénovation adaptée” qui est celui de nos nouvelles Constitutions.

99    Le P. Dehon lui-même aimerait sans doute cette manière d’entrer dans “son esprit”, une manière bien “dans son tempérament et dans sa grâce” (cf. sa réflexion à propos des Exercices en NHV IV, 125).

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