Notre vie spirituelle (III)Initiés á la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ
Présentation en série du « Guide de lecture » des Constitutions, rédigé par le Père Albert Bourgeois.
“…Initiés á la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ…
découvrir de plus en plus la personne du Christ
et le mystère de son Cœur.” (9.17)
1. Notre expérience de foi
143 Comme pour “la grâce et la mission” du P. Dehon, c’est de notre “expérience de foi” que nous sommes invités à partir pour reconnaître les traits caractéristiques d’une vie spirituelle SCJ, en discerner les articulations ou les “arêtes”. En ce sens, c’est l’ensemble du second chapitre (nn. 9-85) des Constitutions qu’introduit et en quelque manière recouvre le sous-titre du n. 9 : “Notre expérience de foi”. L’analyse globale en a été présentée en 1,3.1, et plus spécialement pour l’ensemble 1-39 (vie religieuse SCJ) en 1.3.2. C’est de notre expérience de foi (fides) que notre (fidélitas) tient son contenu et, si l’on peut dire, sa dynamique.
144 Comme il a déjà été noté, l’analyse littéraire peut aider la lecture et la réflexion, mais, comme toute analyse, elle trahit finalement la réalité et le texte lui-même.
145 La réalité, parce qu’elle semble poser une distinction logique, mais comme chronologique ou essentielle, entre d’une part l’expérience chrétienne en général (“avec tous nos frères chrétiens” cf. nn. 9 et 13) et l’expérience dehonienne (nn. 16 et suivants), comme si celle-ci n’était pas en germe dans la première, mais une sorte d’excroissance ; et d’autre part, entre “vie spirituelle” (nn. 16-25) et “mission apostolique” (nn. 26-39), en une dichotomie dont on subodore la trace dans la formule du n. 16 : “appelés à servir l’Eglise… notre réponse suppose “une vis spirituelle”.
146 Mais l’analyse trahit aussi le texte lui-même où, du premier coup d’œil, on reconnaît comment du début à la fin, ce qui est décrit, ce n’est pas une vie spirituelle au service d’une mission, mais une vie spirituelle apostolique, dans une “consécration” qui a déjà par elle-même une réelle “fécondité apostolique” (n. 27). Ce mot de “consécration”, outre sa portée “charismatique”, signifie aussi bien la consommation et l’achèvement de l’expérience spirituelle. Notre expérience dehonienne, en germe dans notre expérience chrétienne, s’accompli dans le service même de sa mission.
147 Le n. 9 mérite d’être médité attentivement. Il a sa densité :
– avec les deux citations qui l’encadrent et dont le rapprochement n’est pas fortuit (1Jn 4,15 et 1Cor 12,3),
– un bref développement central culminant dans l’expression “pour suivre le Christ” et où l’on note : la mention des trois “théologales” dans leur interdépendance, l’expression du “radicalisme” évangélique, qui se retrouvera aux nn. 13-14 sur notre “vocation religieuse”, l’évocation des “défis du monde”, à quoi fera écho, en le développant, ce qui sera dit, aux nn. 35-39, sur “les appels du monde”.
148 Ont déjà été notées, ici comme en 16 et 26, les trois grandes références au mystère du Christ, à celui de l’église et à l’action de l’Esprit (cf. 1.3.2.2.).
149 Notons aussi le mouvement du texte marqué dans l’indication des trois “moments” de l’expérience de foi : “Initiés… nous avons cru… nous confessons…”, avec la brève mais significative allusion à la nécessité d’affermir et d’affirmer la foi reçue (cf. Rom 10,8-10). Cette expérience de foi est bien conçue et présentée dans la perspective d’une vie religieuse apostolique.
150 Enfin, à cette référence à notre initiation baptismale et ecclésiale, se trouve explicitement rattachée notre vocation religieuse elle-même, “enracinée dans notre baptême et notre confirmation” dira le n. 13, “comme un don particulier en vue de la gloire de Dieu et pour attester la primauté du Royaume, et parvenir à cette sainteté par la charité parfaite qui est la vocation universelle de tous les baptisés” (cf. n. 13). L’expression “avec tous nos frères chrétiens” (en 9 et 13) le souligne clairement. C’est là un de ces principes évangéliques et théologiques de la vie religieuse rappelés par le Concile (cf. LG 44 et PC 5) et que Ecclesiae Sanctae demandait de bien mettre en lumière dans la révision des Constitutions : Principia evangelica et theologica de vita religiosa ejusque unione cum Ecclesia.
2. Les axes de notre vie spirituelle
151 La description de l’expérience et de la vie dehonienne se développe progressivement tout au long du texte, selon trois grands axes ou trois “arêtes”, que l’on retrouve dans chacune des subdivisions dont nous avons relevé le parallélisme (cf. I, 3.2.3.) :
– dans une découverte et une approche de la Personne du Christ, du mystère et de la mission du Christ, à travers notamment le mystère du Côté ouvert et du Cœur transpercé nn. 2-3…10-12/19-21
– une vie d’adhésion et d’union dans la charité, expérience de la présence active du Christ, vécue dans l’union à l’oblation réparatrice du Christ, comme principe et centre de notre vie nn. 4-5…13-14/17-18/22-24
– et un témoignage prophétique pour l’instauration de son Règne dans les âmes et dans la société, au service de la mission salutaire du Peuple de Dieu dans le monde d’aujourd’hui nn. 4-5 / 6-7…26-39.
2.1. Une approche commune du Mystère du Christ
152 “Initiés à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ”…
153 En référence à Mc 1,1, nous comprenons cette “Bonne Nouvelle de Jésus-Christ” au sens (épéxégétique !) de la Bonne Nouvelle, l’Evangile qu’est Jésus-Christ. C’est à sa Personne et non pas seulement à sa doctrine et à son enseignement que nous sommes initiés. Cet “Evangile”, c’est la norme ultime “de la vie chrétienne et à un titre particulier, de la vie religieuse” (cf. PC 2). Nous avons “appris” le Christ (Eph 4,20) et nous sommes ses “disciples” (manthanein/mathetês). Cette “initiation” n’est pas une simple information, mais une “information” par la “forme” même de Jésus-Christ.
2.1.1. Les noms du Christ
154 Tout au long du texte, la Personne et la présence du Christ constituent un pâle référentiel privilégié :
– au début et à la fin, comme une sorte de grande “inclusion”, n. 9 : Initiés à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ… ; n. 39 : “… en nous engageant sans réserve pour l’avènement de l’humanité nouvelle en Jésus-Christ”.
– tout au long du texte, où le nom du Christ, sous diverses formes, revient près de 40 fois (en 30 numéros). A partir de ces “noms du Christ”, une ébauche de christologie se dégage (cf. le fameux chef-d’œuvre de Luis de León (1583) : “Les Noms du Christ”, où sont médités 14 noms…).
155 Pratiquement, la référence au Christ, ou mieux sa présence, est au principe, au centre, à la fin, et toujours à l’arrière-plan de chaque paragraphe, de la plupart des phrases, et au principe et au centre de notre vie (n. 17) ; “Son chemin est notre chemin” (12), pour nous donner “avec et comme le Christ” (21), et vivre à sa suite dans une solidarité effective avec les hommes (22), “pour l’avènement de l’humanité nouvelle en Jésus-Christ” (39). “Il est le Premier, le Dernier, le VIVANT” (12) ; et l’unique nécessaire (26).
156 En ce sens, par rapport au texte de 1973, celui de 1979 est, d’une certaine façon, encore plus significatif et unifié. De l’un à l’autre, la modification du plan par le déplacement des numéros sur “les attentes du monde” a accentué le rapport unique de notre vocation et de notre vie à la Personne et a la mission du Christ. C’est, plus nettement encore, de ce rapport même que notre regard sur le monde, notre attention à ses appels et à ses attentes, prennent leur sens, leur lumière et leur contenu. C’est dans le Cœur même du Christ, plus encore que dans la constatation des besoins du monde que s’origine notre vocation religieuse et que notre oblation prend toute sa portée apostolique et réparatrice.
157 Et cela aussi, peut-on estimer, “correspond” à l’expérience et à l’intention du P. Dehon et à la nature même de la vocation et de la vie religieuse.
2.1.2 Deux textes : nn. 10-12 – “Novello Adamo” ; nn. 1921 – “Cœur de l’humanité et du monde”
158 Deux textes majeurs décrivent brièvement ce que le n. 16 appelle notre “approche commune” de la Personne du Christ dans une découverte progressive, “de plus en plus” (n. 17) :
– nn. 10-12 : en une première approche, dans cette expérience de foi que nous faisons “avec tous nos frères chrétiens” ;
– nn. 19-21 : dans “une attention particulière” à ce qui correspond à l’expérience du P. Dehon, dont la référence au Côté ouvert du Crucifié détermine comme l’angle de vue.
159 Deux textes successifs donc, chacun bien situé dans son contexte immédiat et dans le développement logique des Constitutions. Non pas deux approches différentes et parallèles, mais l’approfondissement d’une unique contemplation.
160 Les évangiles ont été écrits comme des témoignages. Ils témoignent de l’approche et de la contemplation de la vie et de la mort de Jésus qui étaient celles de la communauté chrétienne (et des évangélistes, chacun à sa manière), à la lumière de la Résurrection, sous la conduite de l’Esprit. C’est à une démarche semblable que, pédagogiquement en quelque sorte, nous sommes invités. Une voie d’approche commune nous est indiquée – l’événement et le mystère du Côté ouvert -, la voie que l’évangéliste nous indique en rappelant le mot du prophète Zacharie : “Videbunt in quem transfixerunt… Ils regarderont vers/ dans Celui qu’ils ont transpercé…”. La contemplation du Côté ouvert comme une voie d’approche du mystère du Christ, comme pour le P. Dehon, nous est proposée comme la voie privilégiée et préférentielle d’une découverte progressive et “dehonienne” de la Personne du Christ pour une vie spirituelle de Prêtre du Sacré-Cœur.
161 Ces deux textes méritent une analyse détaillée et une méditation attentive :
– de leur mouvement parallèle du début à la fin,
– de la présentation qui y est faite de la mission du Christ, de sa présence et de son action présente, de ce qu’il est pour nous et notre vie.
162 Le vocabulaire et l’emploi des temps, tout y a son intérêt, et aussi d’observer comment le second n’est pas une simple reprise du premier.
163 A. “Nouvel Adam” (nn. 10-12)
164 En nn. 10-12, nous relevons, comme intéressant plus particulièrement notre vie spirituelle SCJ, les trois expressions :
– dans l’obéissance au Père
– au service du Royaume
– par sa solidarité avec les hommes.
165 Dans l’obéissance au Père
166 C’est la clé d’interprétation des mystères de la vie du Christ, de chacun de ses actes, de sa mission.
167 Selon S. Jean, dans cette obéissance, c’est la Personne du Verbe qui se révèle “tourné vers le Père” (Jn 1,1), le Fils se révélant dans le “Serviteur”, jusqu’au grand cri d’abandon dans la déréliction (en Mc 15,34). L’évangile de Jean est constellé de ces références à la volonté du Père, dont l’hymne fameux de Phil 2,6-11 donne une expression saisissante.
168 Au service du Royaume
169 “Son service pour les multitudes”. La notion et la réalité du “Royaume” domine la perspective synoptique (et aussi apocalyptique) du mystère de Jésus. C’est une référence et un fil conducteur à suivre dans tout le texte des Constitutions à propos des divers thèmes : cf. nn. 13, 29, 37-38, 41-43, 48, 54, 60…).
170 Le texte multiplie les expressions : un monde nouveau, celui de la liberté des enfants de dieu, de l’Homme nouveau dans la justice et la sainteté de la vérité. Ces mots de liberté, de justice, de sainteté et de vérité composent le contenu de la “rédemption”, et chacun de ces mots est lourd de sens dans l’Ecriture et la tradition théologique et spirituelle. On les retrouve aux nn. 35-39 à propos des “attentes du monde” et des “aspirations de nos contemporains que nous partageons et rapportons à la venue du Royaume que Dieu” promis et réalisé en son Fils (n. 37) ; et c’est au-delà de ces “attentes “que le Royaume trouvera son accomplissement (10). A noter aussi la “chronologie” de ce Royaume : annoncé -déjà en germe- le Christ déjà à l’œuvre et présent au milieu de nous – la rédemption déjà présente… et pourtant encore attendue comme possible et offerte. Cette “chronologie” est le lieu même de notre vie spirituelle apostolique, selon la perspective ouverte par les deux citations de Rom 8,22-23 et 1Cor 15,28.
171 Par sa solidarité avec les hommes
172 C’est la loi même de l’incarnation et de toute vie “à la suite du Christ”.
173 Ce mot de “solidarité” est aussi à suivre dans l’ensemble du texte (cf. nn. 10,29 pour la solidarité du Christ ; 22 et 29 pour notre propre solidarité).
174 L’expression est ici particulièrement significative : c’est “par sa solidarité avec les hommes que Jésus a révélé l’amour de Dieu”. Ainsi, selon 1Jn 4,7-16, c’est en nous aimant les uns les autres que nous témoignons que Dieu nous a aimés et que Dieu est amour. On reviendra sur ce texte à propos du sens de notre oblation, et de la théologie de l’agapè dont elle relève. Si notre oblation est “union à l’oblation du Christ’’ (cf. nn. 6 et 17), cette solidarité du Christ avec les hommes l’intéresse profondément.
175 Dans ce premier grand texte de nos Constitutions pour notre “approche” du mystère du Christ, c’est la figure du Christ “Serviteur” qui ressort, le Christ vivant son amour du Père dans son amour des hommes, révélant l’amour du Père en vivant avec nous et en qui le Père a manifesté son amour.
176 La contemplation des mystères du Christ, l’exercice de l’union au Christ dans ses mystères (cf. n. 77) prennent ainsi toute leur signification, dans une perspective qui n’est pas seulement de perfection et d’imitation, mais d’union au mystère et de participation effective à la mission même du Christ: “Son chemin est notre chemin” (n. 12). Un “exercice” qui, quelles qu’en soient les modalités, reste essentiel et fondamental, structurel même, dans la vie spirituelle chrétienne, et comme a fortiori dans ‘notre vie spirituelle’.
177 Cette “approche” était déjà celle, au n. 2, de l’expérience du P. Dehon, “dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré pour moi”. La formule de notre confession de foi, au n. 9, va dans le même sens : “le Christ Seigneur en qui le Père nous a manifesté son amour et qui demeure présent à notre monde pour le sauver”. De cet amour du Père, révélé et toujours agissant dans l’amour du Christ, pour nous comme pour le P. Dehon, l’expression la plus évocatrice, c’est le Côté ouvert…
178 B. “Cœur de l’humanité et du monde” (nn. 19-21)
179 Ce deuxième texte christologique, dans son ensemble et son mouvement général, est parallèle au premier (nn. 10-12) :
– mission du Christ (nn. 10 et 19)
– sa présence et son action présente (nn. 11 et 20)
– ce qu’il est pour nous et notre vie (12 et 21).
180 Dans les deux textes, c’est une sorte de panorama du dessein rédempteur – de l’économie du salut, comme disaient les Pères – qui est au moins ébauché, avec des nuances et différences d’accent ; le second texte n’est évidemment pas un simple doublet du premier.
181 En 10-12, le Christ est pratiquement le sujet de toutes les phrases : il est l’acteur obéissant…
182 En 19-21, c’est le Père qui est d’abord le sujet dans la vie et la mission du Christ (et les verbes en n. 19 sont tous au passé). L’action du Christ par contre, en 20-21 est tout entière présentée au présent. Présentation plus “synoptique” en 10-12, plus “johannique” en 19-21 ; ou, pour reprendre les formules de nos théologiens, la double perspective complémentaire d’une “christologie d’en bas” et d’une “christologie d’en haut”. Surtout, le second texte, centré sur la présence actuelle et agissante du Christ, “Cœur de l’humanité et du monde”, développe la formule du n. 11 : “le Christ est déjà à l’œuvre dans sa présence au milieu de nous”. Le symbole du “cœur” vient caractériser cette présence : ce Royaume dont le Christ est le cœur, est un Royaume d’amour, dont la loi de salut est l’amour qui régénère, recrée, rassemble, “récapitule”, “selon le dessein d’amour du Père”.
183 On le note facilement, le mot “amour” revient six fois en 19-21, contre une fois seulement en 10-12. Les deux textes sont évidemment sous le signe de l’amour de Dieu “révélé en Jésus-Christ” (10), mais il y a bien dans le second une “approche et une attention particulière” ou du moins un accent clairement marqué. Cette approche trouve sa voie dans la contemplation du “Cœur transpercé”, pour une dévotion au Cœur du Christ pleinement intégrée au mystère même du Christ, “dans le mouvement de son amour rédempteur” (21).
184 L’image et l’expression “Cœur de l’humanité et du monde” (de saveur assez teilhardienne) vient doubler, sans la contredire mais pour l’expliciter, l’image de “la Tête”, chère à S. Paul (cf. Eph, Col). L’image du “cœur” est ici étroitement liée à la Résurrection et à la Seigneurie du Christ : un Règne d’amour – pour l’“amorisation” du monde, dirait le P. Teilhard de Chardin – “source de l’épanouissement des personnes et des communautés, qui trouvera sa pleine manifestation et sa récapitulation dans le Christ” (le Point Oméga).
185 Quoi qu’il en soit des références et des allusions, si ce n’est pas la dévotion au Cœur du Christ qui est ici directement en vue, c’est au moins une bonne introduction et une large perspective dans laquelle la révélation du Cœur lui-même trouve sa place et sa signification.
2.2. “Contemplant le Cœur du Christ…”
186 La contemplation du Cœur du Christ est partie essentielle de notre expérience dehonienne. Notre foi de “chrétiens”, nous devons “l’affermir en la vivant dans la charité” (9), et c’est en “contemplant le Cœur du Christ, symbole privilégié de son amour que nous sommes affermis dans notre vocation” (21). Ce n’est donc pas là pour nous une sorte d’excroissance dévotionnelle, mais la voie d’approche privilégiée. Cependant la présentation des nouvelles Constitutions substitue à l’image et au message de Paray-le-Monial la référence au mystère du Côté ouvert en Jn 19,31-37. Et cela peut poser un petit problème de fidélité dehonienne.
187 Les anciennes Constitutions (de 1885 et de 1906-1956) s’ouvraient sur l’image et la message de Paray, ces “paroles de Notre-Seigneur à Ste Marguerite-Marie” qui, nous dit le p. Dehon, “l’impressionnaient profondément” (NHV XII, 167). Cette image et ce message inspirent le Directoire Spirituel et les écrits du P. Dehon. Toute sa vie, il y restera fidèle dans sa vie spirituelle personnelle et dans son apostolat pour l’instauration du Règne du Sacré-Cœur. L’introduction du Directoire déclare : “Nous répondons aux appels de Notre-Seigneur à Paray-le-Monial”.
188 Il s’agit pour nous de quelque chose d’important, intéressant l’affermissement de notre vocation (21) et aussi la “visée spirituelle” qui détermine “notre participation à la mission de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui” (2-27).
189 Il va sans dire que du “Sacré-Cœur” de Paray-le-Monial au Crucifié au Côté ouvert, il y a plus qu’une simple substitution d’image pour des raisons d’esthétique ou d’adaptation culturelle ou pastorale. C’est finalement une exigence de cette “rénovation adaptée” à laquelle l’Eglise nous invite. Doctrinalement et spirituellement, c’est une sorte de “conversion”, par retour aux sources, de la dévotion au Sacré-Cœur, sa conception et sa pratique :
– en communion avec la pensée et la vie de l’Eglise, dans la ligne de l’encyclique Haurietis Aquas et de l’important développement théologique, spirituel et pastoral qui l’a précédé et suivi et dont nos anciennes Constitutions n’avaient évidemment pu tenir compte ;
– en fidélité profonde aussi, malgré les apparences, sinon à la présentation et aux formes de la dévotion, du moins à la nature et au sens mime de la dévotion de Paray-le-Monial. Entre toutes les formes de dévotion au Cœur de Jésus, c’est sans doute celle qui renvoie le plus directement et constamment au fait et au mystère du Côté ouvert selon Jn 19,31-37, jusque dans la perspective réparatrice qui est plus particulièrement celle de Paray.
– par fidélité dehonienne enfin, si l’on veut suivre le P. Dehon dans sa contemplation, son enseignement, l’évolution de sa propre attitude fondamentale et pratique dans sa méditation du mystère du Côté ouvert.
190 Les Constitutions de 1885 voyaient dans ce mystère, la figure de notre “profession d’immolation” : “La profession d’immolation qui caractérise les Prêtres de la Société du Cœur de Jésus, peut être comparée à la lance du centurion qui ouvrit le Côté du Sauveur et consomma son sacrifice” (V, n. 113).
191 Et “c’est l’esprit d’immolation par l’amour qui donne à la société son caractère propre” (V n. 152). Texte repris dans le Directoire Spirituel (III, V § l).
192 Sur le mystère lui-même, le p. Dehon a de belles pages dans Etudes sur le Sacré-Cœur (I, 114-127), en Couronnes d’amour (II, 5° mystère) et dans le Directoire Spirituel : méditation de la Passion (II, I §4) de l’expérience de Marie au Calvaire (II, II § 3), et à propos de l’expérience de St. Jean (II, IV § 3).
193 Sans ignorer la tradition doctrinale, patristique et mystique, le p. Dehon s’attache davantage à la signification spirituelle et dévotionnelle, pour une exhortation au don total (oblation), comme retour d’amour en esprit de réparation. Le mystère du Calvaire est médité comme une illustration merveilleuse, un enseignement relativement à “notre vocation”, plus que comme la source même de cette vocation. Notre fidélité consiste à aller au bout de sa pensée profonde. Il nous l’a dit lui-même : pour lui “l’ouverture du Cœur de Jésus est le mystère des mystères, le fondement de tous les autres, le mystère de l’amour qui a été entrevu par les âges précédents, mais qui nous est pleinement révélé” (Couronnes d’amour II, 5° myst. 1° méd.).
194 Dans cette ligne de “fidélité dynamique”, invités à contempler “avec S. Jean” le “Côté ouvert”.
195 C’est d’abord le “mystère” lui-même qui nous retiendra : l’ouverture du côté, le jaillissement de l’eau et du sang, mystère de l’Agneau immolé, mystère pascal du sang versé, mystère pentecostal du don de l’Esprit, naissance de l’Eglise et de l’homme au cœur nouveau et recréé selon Dieu…
196 La ligne de la tradition spirituelle et mystique, de la dévotion, de l’“entrée” dans le Cœur de Jésus, plus familière au P. Dehon, est toujours présente et supposée dans nos Constitutions, partout où l’on parle d’“union intime au Cœur du Christ” (4), d’adhésion au Christ venant de l’intimité du cœur (5), d’union au Christ dans son amour pour le Père et pour les hommes (17), de communion au Christ (22), d’intimité du Seigneur (28). C’est en ce sens que le P. Dehon interprétait et méditait l’expression de Jn 19,37 : “Videbunt in quem…” : ils regarderont au-dedans… (cf. Année avec le S.C., I, p. 363), et dans la Vie d’amour : “Je suis vraiment, fait-il dire à Jésus, dans le mystère de ma Passion, un livre écrit dedans et dehors (cf. Ap 5,l), et ce qui est écrit ainsi, c’est mon amour… Ne vous contentez pas de lire et d’admirer cette écriture divine à l’extérieur, pénétrez jusqu’à mon Cœur et vous verrez” (7° méd. p. 72)
197 Contemplant ainsi le Cœur transpercé du Christ, nous y reconnaissons :
– la manifestation ultime et suprême de l’amour de Dieu, “usque ad finem”, dans le don total du Fils, l’obéissance et l’oblation du Christ : “… ut adimpleretur Scriptura” ;
– le mystère du péché dans l’Agneau immolé… “… in quem transfixerunt”
– l’appel au témoignage : “… ut et vos credatis”.
198 Ces trois grandes lignes de contemplation du mystère du “Côté ouvert” recoupent celles que nous avons relevées dans l’expérience du P. Dehon.
199 Pour lui, c’est le mystère des mystères ; non pas seulement le plus grand et le plus beau des mystères (comme on dit le “Cantique des cantiques” ou “Vanité des vanités”), mais le fondement de tous les autres, le point de recoupement, la révélation du sens de tous les autres, celui à travers et à partir duquel nous sommes à contempler tous les autres, notre voie d’approche de la Personne et du mystère du Christ.
200 Et cela, comme une exigence de fidélité dehonienne, pour le plus grand profit d’une réelle et profonde dévotion au Cœur de Jésus et pour la fécondité réelle d’une vie dehonienne une vie d’amour et de réparation, conçue et vécue comme une vie de charité, de cette agapè qui commande notre vie, pour être “prophètes de l’amour et serviteurs de la réconciliation” (7), nous engageant sans réserve pour l’avènement de l’humanité nouvelle en Jésus-Christ (39) de l’homme au cœur nouveau, né du Cœur de Jésus ouvert sur la croix, animé par l’esprit, dans la communauté de charité qu’est l’église (3)… Une “vie spirituelle”, nourrie de la contemplation du Cœur du Christ, ne peut être authentique qu’en étant elle-même “prophétique”.