13 juillet 2021
13 juil. 2021

Saint Joseph : vertueux et père

"Être pères, c'est introduire l'enfant dans l'expérience de la vie, dans la réalité. Pas pour le retenir, ni l'emprisonner, mais pour le rendre capable de choix, de départs libres" (François dans Patris corde).

par  P. Lorenzo Prezzi scj
Settimananews

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En cette année dédiée à saint Joseph (8 décembre 2020 – 8 décembre 2021), l’attention portée au père putatif de Jésus est renforcée dans un contexte culturel où la question de la paternité est significativement renouvelée.

Le pape écrit dans la lettre apostolique Patris corde : “Les pères ne naissent pas, ils se font. Et on ne le devient pas simplement parce qu’on donne naissance à un enfant, mais parce qu’on s’en occupe de manière responsable. Chaque fois que quelqu’un prend la responsabilité de la vie d’un autre, il exerce en quelque sorte une paternité à son égard. Dans la société actuelle, les enfants semblent souvent être orphelins de père”.

La dévotion à saint Joseph est plutôt tardive, tant en Orient qu’en Occident, et l’Église qui a ” relocalisé ” la figure de Marie dans un sens dogmatique et biblique est consciente de ce que K. Barth a écrit dans Esquisse d’une dogmatique (1947) : ” L’homme Jésus n’a pas de père. Sa conception ne suit pas le droit commun. Son existence commence par une décision libre de Dieu. Elle procède de la liberté qui caractérise l’unité entre le Père et les Fils par le lien de l’Amour, c’est-à-dire par l’Esprit Saint. Elle est le lieu de la liberté de Dieu, et c’est de cette liberté de Dieu que procède l’existence de l’homme Jésus-Christ. ”

Mais la centralité de Dieu et de Jésus ne supprime pas les médiations humaines, ni l’intelligence spirituelle des dévotions.

Père, dans quel sens ?

À l’occasion du 150e anniversaire de la proclamation par Pie IX de saint Joseph comme saint patron de l’Église catholique (8 décembre 1870), la décision du pape François de célébrer l’Année Saint-Joseph est affirmée dans la lettre apostolique, mais aussi d’autres décisions concernant les indulgences et l’introduction dans tous les canons eucharistiques de la mention du saint aux côtés de la Vierge.

De nouvelles invocations ont été introduites dans la litanie de saint Joseph : gardien du Rédempteur, serviteur du Christ, ministre du salut, soutien dans les difficultés, patron des exilés, des affligés et des pauvres. Elles ne sont pas nombreuses, mais pas ignorantes non plus, les initiatives communes de 16 familles religieuses inspirées par saint Joseph en relation avec la célébration de l’année et les activités pastorales des évêques italiens, français et polonais.

Dans le Directoire sur la piété populaire et la liturgie (2002), il est écrit : ” Au cours des siècles, et surtout des derniers, la réflexion ecclésiale a mis en évidence les vertus de saint Joseph, parmi lesquelles ressortent les suivantes : la foi, qui se traduisait chez lui par une adhésion pleine et courageuse au dessein salvateur de Dieu ; l’obéissance diligente et silencieuse aux manifestations de sa volonté ; l’amour et l’observance fidèle de la loi, la piété sincère, la force d’âme dans les épreuves ; l’amour virginal pour Marie, l’exercice consciencieux de la paternité, un effacement actif” (no. 219).

Dans ce contexte, on peut signaler un livre publié comme un cahier de la Nouvelle revue théologique qui rassemble cinq essais parus dans la revue de 1953 à 2013, sous le titre Saint Joseph. Théologie de la paternité (Paris, 2021). Les auteurs sont : H. Rondet, X. Léon-Dufour, A. de Lamarzelle, P. Grelot, P. Piret. Je reprendrai quelques considérations sur l’histoire de la dévotion et ses références bibliques.

L’Écriture et les Apocryphes

L’Écriture retrace la figure de Joseph avec une sobriété absolue, mais le personnage est absolument réel, pas du tout inventé ou imaginaire. C’est un artisan connu, désigné par tous comme le père de Jésus. Les évangiles apocryphes se sont appliqués à enrichir les maigres notes de l’Écriture.

En particulier, le Proto-évangile de Jacques raconte longuement son mariagie et impose pour les siècles suivants l’image de Joseph comme un vieil homme, un veuf avec d’autres enfants. Dans la tradition patristique, son rôle est secondaire, mais sa virginité est affirmée et, en raison de sa fonction de nourricier et d’éducateur, il est nommé protecteur de toute l’Église. De nouveaux apocryphes apparaissent (Évangile de l’enfance, Histoire de Joseph le charpentier, Évangile de la Nativité) qui enrichissent les légendes telles que le mariage qui a eu lieu à 89 ans (il mourra plus tard à 110 ans), la présence d’enfants du premier mariage, l’accompagnement de l’âme de Joseph vers le ciel par des anges.

La dévotion populaire a commencé à se développer en Orient pas avant le neuvième siècle et en Occident après le dixième. Bien qu’évoquée par Hilaire de Poitiers, Ambroise, Chrysostome et Augustin (de 300 à 500 après J.-C.), une attention particulière n’est notée que chez saint Bernard et le pseudo-Bonaventure. Pour saint Thomas, la sainteté de Joseph est liée à son rôle dans le plan de Dieu et dans l’économie du salut. Plus efficace en termes de diffusion de la dévotion est l’art qui, à partir du XVe siècle, traduit en images par des auteurs spirituels tels que Ludolfo (le moine chartreux).

Dévotion tardive

La piété populaire se renforce à partir du XVe siècle. Ses promoteurs étaient Bernardine de Sienne, Vincent Ferrier, Pierre d’Ailly et Gerson (Chancelier). Ce dernier a prononcé un célèbre sermon lors du Conseil de Constance (1412).

Mais c’est la polémique anti-Réforme qui développe les premiers traités, dont Isidore Isolani (Summa dei doni di san Giuseppe). Parmi les jésuites, on peut citer les pères Coton, Binet, Barry et, surtout, Moralés qui discute des opinions théologiques sur les différents thèmes relatifs à Joseph. De Sainte Thérèse à Pierre d’Alcantara, de François de Sales à Olier, à Vincent de Paul, le culte de Saint Joseph entre avec force dans les livres spirituels. Il convient également de mentionner les célèbres panégyriques de Bossuet.

Un changement non moins important a été introduit par la Renaissance qui, avec son esprit critique, a repris la question de l’âge de Joseph au moment de son mariage et les représentations établies, comme l’âne accompagnant la fuite en Egypte. La réussite artistique la plus efficace du renouveau se manifeste dans les peintures de La Tour.

Gerson avait demandé l’institution d’une fête liturgique pour Saint Joseph, ce qui fut fait par Sixte IV en 1481, qui la fixa au 19 mars. Innocent VIII l’a élevée en rôle et avec Grégoire XV elle est devenue une fête d’obligation. En 1714, Clément XI a composé un nouvel office. Longtemps oublié, saint Joseph est depuis lors fêté dans l’Église universelle. Mais son introduction tardive dans la liturgie a soulevé de nombreuses questions sur sa présence dans le canon eucharistique, dans les litanies et sur l’endroit où le placer (avant ou après les martyrs, avant ou après le Baptiste).

C’est Prospero Lambertini (Benoît XIV) qui situe Joseph sur le plan théologique. Il exclut qu’il y ait en lui une sanctification in utero matris, mais reconnaît son rôle dans le plan de Dieu et montre sa dignité qui le place devant les confesseurs, les martyrs et les apôtres. Le 8 décembre 1870, la Sacrée Congrégation des Rites a solennellement proclamé saint Joseph patron de l’Église universelle.

L’économie de Dieu

Commentant Mt 1,18-25 (Joseph assume la paternité légale de Jésus) Xavier Léon-Dufour écrit : ” Joseph se montre juste non pas parce qu’il observe la loi qui autorise le divorce en cas d’adultère, ni parce qu’il se montre bienveillant, ni à cause de la justice due à un innocent, mais (sa résistance) est motivée par le fait de ne pas vouloir se faire passer pour le père de l’enfant divin.

S’il craint d’emmener avec lui Marie, son épouse, ce n’est pas pour un motif profane ; c’est parce qu’il reconnaît, comme le dit expressément Eusèbe, une économie supérieure à celle du mariage qu’il a poursuivi. Le Seigneur a modifié son dessein à son égard : il le rend digne d’assurer l’avenir de ses élus. Joseph se retire, en prenant soin, dans la délicatesse de sa justice envers Dieu, de ne pas “divulguer” le mystère divin de Marie. Il est inutile de chercher comment accomplir son but ; ce sont des détails superflus pour l’évangéliste.

Cet homme juste est placé par les événements au-dessus du plan juridique… (le texte) montre que Joseph n’est pas seulement un modèle de vertu, mais qu’il est l’homme qui joue un rôle indispensable dans l’économie du salut.”

Pierre Grelot, commentant Jean 6, 42-43 (“N’est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph ? Ne connaissons-nous pas son père et sa mère ? Comment peut-il alors dire ‘je suis descendu du ciel’ ? “) écrit : ” Pour Jésus, la relation avec Joseph et Marie était essentielle pour qu’il devienne un homme adulte. Lorsque nous réfléchissons théologiquement à l’incarnation du fils de Dieu, nous oublions souvent qu’il n’était pas, humainement parlant, un adulte dès le début : il a grandi en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes.

Croissance morale, croissance physique, croissance spirituelle : les trois choses ensemble, note Luc. Il n’est pas nécessaire de reconnaître un argument contraire dans la communication des perfections divines à Jésus – en langage théologique on parle de “communication des idiomes” – pour imaginer Jésus comme un adulte déjà fait qui, dès sa naissance, aurait joui d’une perfection universelle dans tous les domaines de la vie psychologique. Il n’aurait pas été un homme en apparence, comme le prétendaient déjà les docteurs”.

L’éveille

Agnés de Lamarzelle lit Genèse 1 et 2 en parallèle avec Matthieu 1,18-25. De même que l’histoire de la création s’interrompt au moment de l’apparition de l’homme, de même la généalogie de Jésus fait face à une rupture au moment où elle assure la descendance davidique du Christ, passant du genre de la généalogie à celui de l’annonce.

Comment la descendance davidique de Jésus peut-elle être assurée, puisque la conception ne concerne que Marie ? Comment concilier l’absence d’intervention masculine avec l’affiliation légale à la lignée davidique ? Joseph sait qu’il n’est pas le père biologique. Sa justice consiste à rester à sa place.

“Tout orienté vers l’accomplissement de la volonté de Dieu, il accepte de ne pas comprendre le mystère qui le touche de près. Il agit en fonction de ce qu’il sait, en décidant de la répudier en secret. Il n’est pas le père et ne peut pas jouer ce rôle pour l’enfant. Il se sépare de la promesse, sans attirer l’opprobre sur Marie, dont il sait qu’elle ne déplairait jamais à Dieu”

Le fait qu’il soit juste menace d’entraver le plan de Dieu. Face à une situation humainement insoluble, l’Ange intervient pour appeler Joseph à un double rôle : ramener Marie chez lui et donner un nom à l’enfant, en enracinant Jésus dans le sillon davidique. Il renonce à la paternité physique pour participer au mystère de l’incarnation rédemptrice, laissant toute la place à Dieu. Seule Marie sera la mère selon la chair, mais c’est à Joseph de jeter un pont entre les deux volontés, ancrant le Sauveur dans la lignée davidique.

La torpeur mystique dont Joseph s’éveille rappelle la torpeur d’Adam au moment de la naissance d’Eve. Joseph “appelé à la mission extraordinaire d’être le père du Fils du Père, permet à l’Emmanuel (d’être greffé à David et) d’être avec nous : avec son épouse, avec le peuple qui l’attend, avec tous les hommes qui acceptent d’être avec lui. A commencer par le lecteur qui entre dans ce “nous” qui l’appelle à vivre l’alliance”.

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