Réflexions sur la dévotion au Sacré-Cœur dans la "Retraite du Sacré-Cœur de Jésus" du Père Dehon.
La dévotion au cœur de Jésus est au centre de notre spiritualité. Malheureusement, à cause des préjugés des sociétés éclairées, la dévotion comme source de spiritualité a été poussée dans un coin et a disparu de nos réflexions théologiques. Je voudrais brièvement partager avec les frères de la congrégation et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, se sentent liés à la congrégation ou à sa spiritualité, un aspect de la Dévotion au Cœur de Jésus. Je n’expose pas mes propres idées, mais me concentre sur la retraite du Sacré-Cœur de Jésus écrite par le père Dehon. Ce que je partage n’est pas un résumé de la retraite, mais un seul aspect, un seul chapitre dans lequel le Père Dehon relie la spiritualité du Cœur de Jésus à la miséricorde. Je préfère me concentrer sur un seul aspect et en tirer le meilleur parti, plutôt que de radoter sur des concepts communs partagés, sans souligner la particularité de la lecture de ces concepts.
Le Sacré-Cœur est la miséricorde
Le Sacré-Cœur est, pour le Fr. Dehon, l’une des manières d’exprimer la miséricorde dans son œuvre Retraite du Sacré-Cœur : ” J’ai maintenant montré combien mon Cœur est miséricordieux pour le pécheur soudain ” ; ” Contemplez et observez les phases et les progrès de cette conversion, vous apprendrez à mieux connaître ma miséricorde et la bonté de mon Cœur ” : “Mais ce que j’ai voulu souligner dans cette parabole, c’est l’accueil miséricordieux que mon Cœur a fait soudainement au persécuteur soudain”. Dans cette œuvre, notre fondateur lie la miséricorde à la contemplation et à la dévotion au Sacré-Cœur. Un fait assez curieux est que les termes Cœur et Amour sont les plus fréquents dans tout le texte, suivis par réparation, don de soi et miséricorde. Parmi ces six, les quatre dernières associent la miséricorde à la conversion, la méditation 19 lie la miséricorde et le retour à l’amour du Seigneur, tandis que la méditation 5 inaugure le thème qui sera traité dans différentes méditations.
Parler d’amour, ressentir l’amour pour exercer l’amour
Afin de mieux comprendre ce que je dis ici, je vais brièvement souligner certains aspects de la structure de la retraite. La retraite du Sacré-Cœur se compose de 40 méditations dont la première et les deux dernières forment une sorte d’inclusion : Celui qui est charité et nous a créé par amour est Celui qui régnera dans les âmes et dans les sociétés par le Cœur de son Fils. Tout naît de l’amour et tout tend vers l’amour. Le but de la retraite : parler de l’amour, ressentir l’amour pour l’exercer. Le texte est écrit dans un style dévotionnel. Il n’est donc pas surprenant que le père Dehon mette des mots de supplication, de compassion, de proximité et de tristesse sur les lèvres de Jésus. Le style dévotionnel dans lequel la retraite est présentée n’a pas pour but d’amener le retraitant à se lancer dans des pratiques pieuses occasionnelles. La dévotion que recherche le fondateur est le dépassement de ce qu’il appelle la tiédeur qui éloigne l’homme de l’amour : “Ils se font illusion sur l’état de leur âme, sur le mal qu’ils font et sur le bien qu’ils croient faire. Ils se croient riches en grâce, quand ils sont misérables et pauvres” . Contrairement à la logique de domination, la retraite nous introduit dans une logique de don de soi (oblation) par amour du Cœur de Jésus et par amour de nos frères et sœurs. La retraite est loin d’être un manuel d’exercices pieux. Ce danger ne peut être évité que lorsqu’il est lu avec dévotion dans la logique de l’amour oblatif.
Dieu le Père, source de la miséricorde
Les textes bibliques qui accompagnent les méditations sont l’axe autour duquel tourne la méditation. Dans la cinquième méditation, qui traite précisément de la miséricorde, le point de départ est Lc 1,68,77;79, où se détache l’expression du verset 78 : “per viscera misericordiae Dei nostri, in quibus vistavit nos Oriens ex alto”. Pour comprendre ce qui est proposé ici, il faut faire le lien avec la quatrième méditation qui souligne la centralité que doit avoir la paternité de Dieu chez un disciple du Cœur de Jésus. En effet, par la filiation, nous avons le droit de faire partie de la maison paternelle et de bénéficier de la tendresse, de l’attention et de l’héritage du Père. Cette tendresse est telle que l’image, décrite dans l’évangile de Luc, des sentiments du père envers le fils prodigue, est une faible représentation de ce que le père céleste ressent réellement pour les pécheurs. Il n’est donc pas étonnant que dans cette cinquième méditation, le P. Dehon mette sur les lèvres du sauveur la conviction que “(le) Père est la source même de la miséricorde”. Dehon est convaincu que l’âme qui abandonne Dieu n’est jamais abandonnée par le Père, au contraire, le Père supporte avec patience son indifférence et attend avec impatience le retour du Fils : “Miserator et misericors Dominus, patiens et multum misericors” (Ps 144,8). Avant de parler du péché et de ses conséquences, la retraite nous met au diapason de la miséricorde : “non seulement Dieu, dans sa bonté, ne punit pas le pécheur qui s’offense, mais il le recommande à toute sorte de bien”. Ce texte est central dans la lecture des méditations sur le péché, qui doivent être lues à la lumière de celui-ci, sinon on risque de présenter Dieu uniquement comme un Dieu de jugement, alors qu’il est essentiellement miséricorde.
La miséricorde rétablit la dignité d’être un Fils
Une lecture atomisée de la retraite peut défigurer l’image miséricordieuse du Père et accentuer une image qui est loin de refléter sa tendresse. Pour un disciple du Cœur de Jésus, la Miséricorde ne le laisse pas indifférent au pécheur enfermé dans le péché. La miséricorde sauve et restaure : “La miséricorde divine à l’égard des pécheurs se révèle encore par les incessantes sollicitations qu’elle leur adresse pour les convertir”. La miséricorde du Cœur de Jésus est avant tout une proximité permanente, même lorsque l’homme décide de s’éloigner pour vivre sa propre vie. Cette miséricorde n’est pas une table rase, laissant le pécheur comme un débiteur qui, lorsqu’il est pardonné pour ne pas avoir pu payer, se retrouve victime d’une dette de reconnaissance plus grande que celle qu’il avait auparavant. La miséricorde restaure la dignité d’être un Fils. Dieu restaure la dignité, sans l’imposer, il se contente d’interpeller, d’appeler, de susciter et jamais d’obliger. “Cette miséricordieuse bonté de mon Père se révèle dans les Prophètes dont il emprunte la voix pour appeler les pécheurs à la pénitence et leur promet le pardon”. Dans la dévotion au Cœur de Jésus, on sent une dialectique permanente entre la bonté, la grâce, la tendresse et la conversion. Le Père n’est pas moins bon lorsqu’il appelle à la conversion que lorsqu’il embrasse avec tendresse. Chaque instant est un témoignage de la bonté paternelle aimante manifestée dans le cœur de son Fils. Comme le disciple, nous devons nous aussi dire “cette miséricorde, je l’adore en particulier dans le Cœur de Jésus où elle s’est incarnée pour nous visiter et nous sauver”. Le Cœur de Jésus est, pour le père Dehon, le lieu visible de la miséricorde.