Non pas à côté ou au-dessus, mais “au sein” du peuple de Dieu.
La grave question qui se pose aujourd'hui à la vie religieuse est de relancer l'Évangile de la fraternité sur une base nouvelle, riche d'imagination et de sagesse évangélique.
Pendant le Concile, Mgr M. Richaud a apprécié la suppression du substantif “religieux” au profit de “vie religieuse”.
Depuis le Concile, c’est dans le partage de la vie de tous que les personnes consacrées sont invitées à révéler le visage de Dieu, en investissant leur vie pour rendre aux gens de la rue l’Évangile qui leur appartient. C’est donc le moment d’activer des collaborations, de coopérer en s’intégrant avec les personnes qui, sur un territoire donné, ont une influence potentielle dans la mobilisation du changement attendu.
Cette communion implique de prendre conscience de sa propre identité pour s’ouvrir à l’altérité. Il s’agit de vivre ensemble de telle manière que nous ne vivions plus simplement l’un à côté de l’autre dans une opacité mutuelle, mais l’un vers l’autre, et que nous nous réalisions dans cette relation d’échange, puisque la foi chrétienne a son pivot précisément dans les relations vraies, bonnes, saines, intéressantes. Il s’ensuit qu’une forme de vie qui tourne autour d’elle-même n’est plus compréhensible et donc souhaitable.
De l’unicité à la multiplicité des modèles de communion
Le Pape François, à l’occasion de l’Année de la Vie Consacrée, avec sa Lettre Apostolique aux personnes consacrées, a entrevu des traits de fécondité pour la vie de communion en “donnant naissance à d’autres lieux où se vit la logique du don, de la fraternité, de l’accueil de la diversité“.[i] D’autres lieux qui nous permettent de nous sentir voyageurs avec ceux qui marchent et chercheurs avec ceux qui cherchent à travers des relations humaines qui sont le fruit et le signe de la primauté de l’écoute de la Parole sur toute autre chose.
Que la variété des modèles soit un élément indiqué comme enrichissant est également dit dans le document de la congrégation des religieux où il est affirmé que “la reconnaissance positive de la diversification des modèles et des styles de vie fraternelle constitue aujourd’hui l’un des résultats les plus significatifs du souffle novateur du Concile“.[ii] Il y a ici l’admission implicite qu’il y a là des traits d’achèvement qui devraient être valorisés aussi par la vie religieuse parce qu’ils font appel à des catégories contemporaines dans les formes d’approche et de communication, de spontanéité et d’immédiateté.
Tout cela part du constat qu’aujourd’hui encore, dans un monde d’agitation et d’inhospitalité, il existe une nostalgie des relations personnelles et communautaires qui s’exprime notamment dans la diffusion de groupes, de mouvements et d’associations dans lesquels le paradigme anthropologique a pris consistance et visibilité historique.
Là où il est évident qu’il y a “un seul cœur et une seule âme” (Actes 4:32)
Il n’y a pas de communauté sans une véritable “rencontre”, et cette communauté devient communion, “sacrement” du salut, là où et quand il y a cette communication réelle qui devient un véritable “partage”. Il s’ensuit qu’il n’y a pas de communauté dans ces formes qui présentent une dynamique relationnelle avec le Christ et avec les autres si faible qu’elles semblent n’avoir à voir qu’avec quelque chose d’organisationnel et d’administratif, avec des tensions sur rien, plutôt qu’avec des espaces d’humanité sereine, qui transmettent le désir de se rencontrer et d’être avec les autres.
Le Pape François insiste particulièrement sur le fait qu’il s’agit de la fraternité, non pas celle comprise uniquement dans un sens spirituel-universaliste, institutionnel, mais celle qui s’exprime à travers la “proximité”, celle qui peut être conçue comme un modèle de relations entre des personnes avec lesquelles il est possible d’avoir des rapports positifs, une communication franche, non dépourvue d’empathie, c’est-à-dire avec la capacité de se rendre compte de ce que la personne qui est près de moi pense, ressent, veut : c’est ainsi que l’Eglise peut montrer son visage génératif.
Nous sommes donc appelés à soumettre à la critique historique de nombreux présupposés culturels que nous avons apportés d’autres temps, dont celui d’identifier la koinonia (vie en communion) à la vie sous le même toit, comme pour dire que s’il y a cette dernière, il y a nécessairement aussi la première. D’où le danger, surtout pour les communautés qui comptent un grand nombre de membres, de s’en remettre à une conception collectiviste pour laquelle ce serait le système de valeurs qui les soutiendrait et qui suffirait à se reconnaître comme frères et sœurs, indépendamment de la qualité et du nombre de communications directes.
La question sérieuse qui se pose aujourd’hui à la vie religieuse est donc de relancer l’Évangile de la fraternité sur de nouvelles bases, car demain sera pour cette vie religieuse qui sait assumer des modes de fonctionnement ouverts à des rêves flexibles, riches en imagination et en sagesse évangélique.
Ce qu’une personne religieuse devrait voir !
La vie religieuse se voit aujourd’hui offrir la possibilité de retrouver sa capacité féconde, avec la capacité de dire Dieu d’une manière nouvelle, et de le faire apparaître dans la beauté accueillante et hospitalière de l’humain, à travers des personnes dont la manière de vivre montre que croire ne signifie pas se laisser brider par l’humanité, la vitalité, la beauté, la spontanéité, mais plutôt la faire exploser en plénitude. Des personnes dont la spiritualité est en harmonie avec la vie, exprimée avec des modèles évangéliques qui interpellent l’homme post-moderne plutôt que des modèles de spiritualité dépourvus d’originalité, surchargés de formes dévotionnelles à la dérive, méfiants à l’égard de la société et des nouveaux courants spirituels expérimentés. Aujourd’hui, l’accent n’est pas mis sur les “étiquettes” mais sur l’évidence évangélique, qui se définit comme telle par la vie en action, en montrant combien l’action du Saint-Esprit est vivante.
Ce n’est que si cela est rendu visible qu’il sera possible d’offrir de manière fructueuse, surtout aux jeunes, la possibilité de partager l’expérience de la recherche de Dieu et de la fraternité, c’est-à-dire de vivre avec d’autres, au-delà de l’espace de sa propre maison, dans une convivialité et un exercice collectif de l’humanité qui évite le risque d’être vaincu par l’homologation et la solitude.
[i] François, Lettre apostolique à toutes les personnes consacrées à l’occasion de l’Année de la Vie Consacrée 21 11.14 n.2
[ii] Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, Rejoice, 2014 Vatican ed, Scrutinize, LEV, 2014, no.4.
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