« Nous sommes appelés à revaloriser la spiritualité du Sacré Cœur »
La dernière Encyclique du pape François « Dilexit nos » ne cesse de faire couler des ancres au sein de la famille dehonienne. Le père Parfait Mongo, de la Province du Cameroun, nous propose une autre compréhension dehonienne de cette Encyclique sur le Sacré-Cœur.
Le 24 octobre 2024, le Pape François a publié une nouvelle encyclique sur l’amour divin et l’amour humain intitulé Dilexit nos. Dans cet article je voudrais présenter succinctement l’écho que ce texte magistériel a eu au sein de la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus. En d’autres termes il s’agit de la réception dehonienne de cette belle encyclique. Ce qui revient à dire comment les fils spirituels de Jean Léon Dehon ont accueilli cet important document ecclésial sur le Sacré-Cœur. Mon analyse portera donc principalement sur trois points. D’abord dire ce que l’encyclique a suscité au milieu des fils de Dehon. Ensuite relever l’équivoque sur le fait que le Pape ait cité le Père Dehon et finalement présenter mon analyse personnelle.
L’accueil de l’encyclique au sein de la famille dehonienne
A partir de certaines réactions qu’on a pu détecter au sein de la famille dehonienne après la publication de l’encyclique, je peux me permettre de dire que l’accueil du document était mitigé. Ceci dans la mesure où d’une part on pouvait lire une certaine indifférence sur la question par une poignée de confrères ; mais d’autre part il y avait une grande euphorie due surtout au fait que « le Pape a cité le Père Dehon ». Je me rappelle que quelques jours après la publication de l’encyclique la Province de l’EUF a eu une journée amicale à La Capelle à laquelle j’ai participé. C’est le même refrain avec beaucoup d’enthousiasme qui retentissait ici et là. Personnellement, je n’ai aucun problème sur le fait que le Pape cite le Père Dehon, je serais plutôt très honoré que notre fondateur soit cité par la bouche/la main la plus autorisée de l’Eglise. Toutefois, nous devrions éviter de faire une lecture sensuelle, passionnelle, je dirais même émotionnelle de la nouvelle encyclique. C’est en cela que je m’inscris en faux sur l’affirmation selon laquelle « le Pape a cité le Père Dehon ».
« le Pape a cité le Père Dehon ».
Nous devrions bien établir la différence entre citer quelqu’un et faire référence à quelqu’un. Citer un auteur renvoie à reproduire textuellement un passage ou une phrase du travail de cet auteur. Par exemple, pour Victor Hugo « la vie est une fleur dont l’amour est le miel. »[1] La citation est donc utilisée pour apporter une preuve directe, pour soutenir un argument ou encore pour illustrer un point précis. Faire référence à quelqu’un ou à un auteur signifie mentionner les idées, les travaux ou les découvertes de la personne sans nécessairement les citer textuellement. En d’autres termes, faire référence à un auteur consiste à mentionner ses idées, sa pensée et même ses recherches d’une manière générale voire indirecte. Qu’il s’agisse de citer ou de faire référence, les deux pratiques sont essentielles pour respecter le droit d’auteur et l’intégrité académique ; néanmoins elles sont différentes. Pour ma part, le Pape François dans Dilexit nos, n’a pas cité le Père Dehon, mais a fait référence à ce dernier. En effet, au paragraphe 110 de l’encyclique, le pape parle de plusieurs saintes femmes qui ont eu le privilège de faire des expériences de rencontres extraordinaires avec le Christ et il conclut en reconnaissant les mérites des saintes Gertrude et Mechtilde comme des modèles d’intimité du Sacré-Cœur. Ainsi, pour garder l’honnêteté intellectuelle et scientifique, le pape reconnait en la note de bas de page 99, que Léon Dehon a fait mention de ces mêmes femmes dans le Directoire spirituel des prêtres du Sacré- Cœur de Jésus ; précisément celui de 1936. Malheureusement, l’édition du Directoire spirituel choisie par le Pape non seulement soulève un autre problème, mais surtout me réconforte dans ma position, car comment Dehon a pu publier après sa mort ?[2]
L’équivoque ayant été levée, je voudrais maintenant faire résonner l’écho que Dilexit nos a eu sur moi en tant que fils spirituel du Père Dehon.
Ma compréhension de Dilexit nos
Tout d’abord Comme Prêtres du Sacré-Cœur, nous ne pouvons pas rester indifférents sur l’exploration de la notion du cœur dont fait le Pape dans les paragraphes 2 à 31 de l’encyclique avec pour sous-titre « l’importance du cœur ». S’appuyant sur les références bibliques, philosophiques, théologiques et spirituelles, le Pape François nous rappelle que le cœur est le centre de l’être humain, car il unifie les aspects à la fois spirituels, émotionnels et physiques. Cette approche va en droite ligne avec tous les apôtres de la dévotion due et au Sacré-Cœur. Le pape s’appuie également sur ses prédécesseurs, partant de Pie XI à Benoit VXI. Il ne néglige pas certaines grandes figures de la spiritualité catholique en générale et de la spiritualité du Sacré-Cœur en particulier telles que François de Sales, Thérèse de Lisieux, Ignace de Loyola, Bernard, Claude La Colombière, Ambroise et bien d’autres. Il ne manque pas de citer les philosophes comme Platon et Heidegger. Toutes ces références contribuent à la richesse de cette encyclique pour nous et pour l’Eglise entière. Par ailleurs, l’encyclique critique fortement la société moderne, qui transforme les êtres humains en consommateurs insatiables, asservis aux rouages d’un marché qui ne s’intéresse pas au sens de l’existence.
Pour moi, cette encyclique nous replonge dans la richesse de la spiritualité du Sacré-Cœur et les dévotions qui y vont avec. Je salue la profondeur spirituelle de l’encyclique qui aborde de fond en comble des questions spirituelles et théologiques, entre autres, nous avons l’appel à l’amour et à la compassion. Le Pape met l’accent sur l’amour humain et divin du Cœur de Jésus Christ et nous rappelle l’importance de la compassion et de la tendresse dans la foi chrétienne dans un monde entrainé dans une barque de destruction et d’égoïsme. Le pape nous invite à rentrer à l’essentiel qui est l’amour. Je vois en cette encyclique l’expression de la consolation de Dieu que nous ne trouvons que dans le Sacré-Cœur de Jésus, qui est l’origine et la source de la vraie consolation.
Dilexit nos, une continuité
En tant que fils spirituels de Léon Jean Dehon, nous devrions voir en cette encyclique une continuité des encycliques précédentes, je nomme ici Laudato si et Fratelli Tutti ; et par là, voir aussi un retour aux fondamentaux de la foi catholique auquel le pape nous invite en redécouvrant l’importance du cœur et de l’amour divin. Continuité et retour aux fondamentaux en ceci qu’au XXI siècle, le Pape François nous rappelle encore l’importance de la dévotion au Sacré Cœur, qui dans le passé avait été abordée respectivement par les Papes Léon XIII, en 1899 à travers l’encyclique Annum Sacrum, consacrée à la consécration du genre humain au Sacré-Cœur de Jésus ; Pie XI, en 1928, avec Miserentissimus Redemptor sur la réparation due au Sacré-Cœur et Pie XII, en 1956, avec Haurietis Aquas sur le culte du Sacré-Cœur.
Dilexit nos est donc la quatrième encyclique ayant une exclusivité sur le Sacré-Cœur de Jésus. A la veille de ses 88 ans, le Pape François a certainement jugé nécessaire de rentrer s’abreuver à cette source intarissable qu’est Sacré-Cœur et d’arroser à profusion l’Eglise après 68 ans sans un texte magistériel sur le sujet. Nous, Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus, devrions voir en cette encyclique une forme d’encouragement à un renouvèlement de la dévotion au Sacré Cœur et à reproposer celle-ci à ceux et celles vers qui nous sommes envoyés, de percevoir la richesse de ce Sacré -Cœur qui est inépuisable. En cela nous sommes appelés à revaloriser la spiritualité du Sacré Cœur, d’abord dans nos milieux comme fils du Père Dehon, héritiers de la spiritualité du Sacré-Cœur et de la faire nourrir aux fidèles de notre temps afin de susciter en eux un dialogue continue sur la manière dont l’amour et la compassion peuvent être intégrées dans la vie quotidienne et les pratiques religieuses dans notre monde d’aujourd’hui.
Toute compte fait, Dilexit nos est d’une importance capitale pour nous Prêtres du Sacré-Cœur. Non parce que « le Pape a cité le Père Dehon », mais parce que cette encyclique aborde plusieurs éléments fondamentaux de notre patrimoine charismatico-spirituel. Nous avons entre autres, « la soif de l’amour de Dieu » (§§93-101), qui fait allusion à l’adoration eucharistique et à la contemplation. Nous devrions nous émerveiller devant ce grand trésor et être à mesure de dire : « Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » (Is 43, 4) ; la dévotion de la consolation, nous comme « serviteurs de la consolation » (§§151-163) ; « L’amour pour amour », dans la cinquième partie nous rappelle notre mission apostolique au milieu de nos frères et sœurs (§§167-171) ; sans oublier la réparation, une réparation qui inclut l’intégralité de la création, car par et avec elle, nous devons « construire sur le ruines » (§§ 181-190) et prolonger notre intimité dans et avec le Cœur du Christ (Cf. §§ 191-204). Soyons donc les diffuseurs de cette belle et noble encyclique. Pourquoi pas faire d’elle l’un de nos livres de chevet ?
[1] Victor Hugo, Les Contemplations, Editions Flammarion, 1856, p.34.
[2] Dehon a publié le Directoire Spirituel des Prêtres du Sacré-Cœur en 1919. Dehon parle des deux femmes dont le Pape fait mention à la deuxième partie de l’œuvre et précisément au chapitre VII, intitulé « Les Saints du Sacré-Cœur », au numéro 69. L’édition de 1936 est une révision (revue et augmentée), car elle a été publiée après la mort du fondateur. En citant cette deuxième édition, il importe donc de préciser cela pour éviter tout amalgame.